L’éditeur University of Chicago Press a habitué son lectorat à des ouvrages de qualité dans le domaine de l’histoire de la cartographie. Cette synthèse de Mirela Altic consacrée à la cartographie de l’Amérique par les Jésuites aux 16e, 17e et 18e siècles ne fait pas exception. Particulièrement denses, les quelque 500 pages du livre ont tout pour plaire à ceux et celles qui s’intéressent aux caractéristiques et à l’évolution de la représentation géographique du monde. Plus de 150 cartes y sont reproduites, dont une cinquantaine en couleur, en provenance d’une quarantaine d’institutions. L’écriture est limpide, les idées sont clairement exprimées. Le propos est soutenu pas un riche appareil bibliographique généralement à jour (surtout de langue anglaise, dans une moindre mesure espagnol, portugais et français). Altic résume ainsi son programme : analyser le vaste corpus cartographique trans-impérial, définir ses caractéristiques, rappeler le contexte dans lequel la cartographie jésuite a prospéré, apprécier son influence sur l’évolution générale de la connaissance géographique. L’approche comparative est ambitieuse puisqu’elle envisage cet objet d’étude sur deux siècles et dans trois empires coloniaux (Espagne, Portugal et France). Malgré les nombreuses études dont la cartographie jésuite a fait l’objet, aucune synthèse de la sorte n’avait encore été produite et celle-ci arrive à point nommé. Le corps de l’ouvrage est composé de quatre chapitres d’inégales longueurs. Le premier rappelle les caractéristiques de l’ordre jésuite et son rapport à l’éducation, aux sciences, à l’édition et aux savoirs géographiques. Fille de la Contre-Réforme et vouée à la propagation du christianisme catholique, la Compagnie de Jésus implante plusieurs missions aux marges du monde connu des Européens. Ses membres ont ainsi été au coeur de nombreux voyages de découvertes et d’exploration en Amérique, ce qui a généré un flot considérable de connaissances, notamment plus de 800 ouvrages jésuites publiés à propos des populations locales et de leurs territoires. Selon Altic, leurs meilleurs missionnaires avaient les compétences intellectuelles nécessaires pour communiquer avec les peuples indigènes et entretenir avec eux des liens de confiance. Ceux qui ont pratiqué la cartographie l’ont fait dans un souci de survie et de meilleure planification des efforts de conversion. Ils ont consigné le tracé des routes, l’emplacement des villages et d’autres renseignements géographiques permettant de se repérer sur le terrain. L’autrice change son échelle d’analyse aux chapitres 2, 3 et 4 qui sont consacrés respectivement aux aires coloniales espagnole, portugaise et française. La démarche consiste alors à identifier les principales cartes jésuites et à contextualiser leur production et leur portée. L’autrice y présente de façon successive et érudite les cartes de son corpus, selon quelques critères plus ou moins récurrents : contexte de réalisation, couverture géographique, échelle, type de données consignées, présence de toponymes autochtones, présence d’ornementation, présence de données statistiques, qualité de la description, implication de l’État colonial, nouveautés et améliorations par rapport à la cartographie antérieure. Lorsque les sources sont loquaces et que les cartographes sont particulièrement compétents (voir par exemple les parties sur Eusebio Francisco Kino pour l’empire espagnol), la présentation s’enrichit du parcours du cartographe, de sa formation, de ses rencontres marquantes, de sa méthode de collecte des données, des instruments utilisés, de la précision des données, etc. En toute logique, la partie espagnole reçoit la plus grande part d’attention. L’aire géographique est vaste. Le lecteur se déplace en Floride, en Nouvelle-Espagne, au Mexique, en Californie, au Pérou, au Chili, à Quito, au Paraguay, le long de l’Orénoque. Le Brésil a la particularité d’avoir été cartographié par des Jésuites pleinement soutenus par les autorités coloniales portugaises dans leurs conflits de frontières avec les Espagnols et les Français. Ce ne sont pas …
Altic, Mirela. Encounters in the New World. Jesuit Cartography of the Americas (Chicago, University of Chicago Press, 2022), 504 p.[Notice]
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Jean-François Palomino
Université du Québec à Montréal