Le chiffre trois joue un rôle assez important dans cette belle étude. D’abord, il s’agit du troisième livre de « la trilogie acadienne accidentelle » (p. 8) de Ronald Rudin, après ses ouvrages sur la commémoration de l’établissement français dans l’île Sainte-Croix et sur le parc national Kouchibouguac. Rudin a créé un film pour accompagner ce livre (disponible à https://www.unnaturallandscapes.ca), où il étudie le rôle de la Maritime Marshland Rehabilitation Administration (« l’Administration du programme d’utilisation des terrains marécageux des provinces Maritimes », connue sous le sigle MMRA). Cette unité administrative gère le système des digues et des aboiteaux de 1948 à 1970 et construit des barrages sur certaines rivières de la région. Pendant cette période, à part dans la région de Memramcook au Nouveau-Brunswick, peu d’Acadiens possèdent des terres agricoles autour de la baie de Fundy ; par conséquent, comme l’admet l’auteur, ce livre est moins « acadien » que les précédents. Plaçant le rôle de la MMRA dans un contexte historique plus long, Rudin étudie l’évolution des rapports humains avec les marécages de la baie de Fundy et y perçoit trois types de paysage successifs. D’abord, dans une « première nature », il n’y a aucune entrave à la marée, et le va-et-vient des courants crée des marécages riches en espèces fauniques et végétales. Rudin décrit ce paysage millénaire assez brièvement, pour se concentrer sur les deuxième et troisième « natures ». Le paysage des aboiteaux représente la deuxième nature. Dès le 17e siècle, les colons acadiens installent des digues et des aboiteaux pour contrôler les marées et récupérer de la terre. Ce faisant, ils créent des terres agricoles extrêmement fertiles. De temps à autres, les agriculteurs laissent entrer l’eau de mer qui dépose une riche boue qui revitalise le sol. La construction et l’entretien des aboiteaux et des digues nécessitent un savoir fin développé au cours des générations. Après la déportation des Acadiens entre 1755 et 1763, les colons anglo-américains et britanniques s’emparent de leurs terres et adoptent leurs façons de les entretenir. Pendant les décennies suivantes, les agriculteurs coopèrent pour gérer les aboiteaux et les digues. C’est un paysage façonné par les humains. Le film acadien pionnier Les aboiteaux sera tourné dans la région de Memramcook en 1955 ; le système de gestion des terres y est une métaphore de la survie et de la modernisation des espaces acadiens au Nouveau-Brunswick. Après les difficultés économiques de la Grande Dépression, des agriculteurs de la région font appel à l’État pour les aider à maintenir les digues et les aboiteaux. En 1948, le gouvernement fédéral établit la MMRA, qui aura un impact sur environ 200 000 hectares de terre dans la région. Rudin a le grand mérite d’avoir identifié les documents de cette unité administrative, jusqu’alors oubliés dans un sous-sol en Nouvelle-Écosse et dans un hangar au Nouveau-Brunswick. L’auteur a aussi mené plusieurs entrevues dans la région, et quelque 40 photos illustrent bien le propos du livre. Il relate dans le détail comment les fonctionnaires de la MMRA ont rétabli et modernisé les digues et les aboiteaux pour protéger les terres gagnées sur la mer, cette deuxième nature. Mais sous l’égide de la MMRA, une troisième nature s’établit dans ce paysage. Certains fonctionnaires prônent en effet une nouvelle modernité, celle des barrages qui endiguent la marée et qui auront parfois des effets inattendus. En construisant cinq barrages, la MMRA fait en sorte que de nouveaux hectares agricoles sont mis à la disposition des agriculteurs, mais sans l’apport de la boue par la marée, ces terres ne sont pas aussi fertiles. D’ailleurs, l’économie agricole dans les Maritimes …
Rudin, Ronald. Against the Tides. Reshaping Landscape and Community in Canada’s Maritime Marshlands (Vancouver, UBC Press, 2021), 316 p.
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Colin M. Coates
Collège universitaire Glendon de l’Université York
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