Le féminisme dans ses différentes vagues n’est pas un sujet nouveau en histoire sociale ; il en est fort probablement le socle. Les historiennes et historiens l’ont étudié à travers ses différents aspects et ses luttes : le droit de vote, l’avortement, l’accès à l’éducation, etc. Néanmoins, le présent ouvrage tente de s’éloigner du courant dominant de l’historiographie, qui traite principalement des dynamiques au sein des mouvements et de leur relation avec l’État. L’attention de Jacinthe Michaud se porte davantage sur les éléments qui ont façonné les discours et les pratiques féministes de 1960 à 1980. Frontiers of Feminism ne suit donc pas une approche chronologique traditionnelle ; il se penche plutôt sur des thèmes, ce qui permet d’éclairer certaines dynamiques au sein des mouvements féministes italien et québécois. Le choix de traiter simultanément de l’Italie et du Québec ne relève pas du hasard. L’autrice relève plusieurs similarités entre les mouvements des deux sociétés, notamment leurs emprunts théoriques aux mouvements féministes américains et français, le choix des causes au coeur des mouvements et l’homogénéité raciale (« whiteness ») de leur population (ou du moins, l’omission de la dynamique raciale dans la rhétorique féministe des deux sociétés). Ce faisant, l’ouvrage permet une compréhension nouvelle, probablement plus fluide et moins dichotomique, de l’histoire des mouvements féministes au Québec et en Italie. En les présentant côté à côte, l’autrice fait pleinement ressortir les particularités de chacun et leur contexte respectif. L’objectif de Michaud est de nous présenter les multiples trajectoires des jeunes féministes de la période étudiée à travers leurs récits, personnels comme collectifs. Cela veut aussi dire leurs relations avec les différentes entités et mouvements politiques en Italie et au Québec, ainsi que leur évolution dans un contexte social et culturel particulièrement effervescent. Aucun mouvement ne se crée en vase clos ; plusieurs éléments externes et internes façonnent la direction qu’il prendra. Et c’est exactement ce que cet ouvrage propose : d’élargir notre champ d’analyse pour jeter un éclairage différent sur ce qui a contribué à façonner le féminisme contemporain (p. 7). Dans les premiers chapitres, l’autrice expose le contexte politique dans lequel chacun des mouvements évolue et ses rapports avec les autres mouvements de gauche de l’époque, notamment les partis marxistes et nationalistes ainsi que le mouvement étudiant. Il s’agit du point de départ, car à l’époque, il est devenu clair pour les féministes que les conditions des femmes sont une question à laquelle il est impossible de s’attaquer au sein des organisations de gauche. La création de groupes comme le Front de libération des femmes du Québec et Lotta feminista exprime ce désir de plusieurs groupes de femmes de se distancier de leurs camarades masculins pour porter un message similaire mais avec une dimension résolument féministe. Ce que remarque Michaud, c’est que le marxisme n’est pas exclusivement lié au féminisme italien, tout comme le nationalisme n’est pas exclusivement lié au féminisme québécois. Dans un autre chapitre, Michaud explore davantage l’évolution du contexte culturel et ses impacts sur la production culturelle des groupes féministes. On y observe une dynamique de pouvoir entre le politique et le culturel qui a permis de faire émerger des éléments de contre-culture et un rejet par le politique de toutes oeuvres ayant un message politique. Ce contexte a permis la prolifération de plusieurs médiums féministes (journaux, films, émissions de radio, maisons d’édition, etc.). Par le biais de toute cette production culturelle, Michaud nous amène aussi à réfléchir à la documentation des mouvements féministes et à la production d’archives. Qui devrait écrire l’histoire du féminisme, l’histoire des femmes ? Évidemment, cette réponse est complexe et nuancée. Toutefois, …
Michaud, Jacinthe. Frontiers of Feminism. Movements and Influences in Québec and Italy, 1960-80 (Vancouver, UBC Press, 2021), 328 p.[Notice]
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Anaïs Hélie-Martel
Université de Montréal