Dans cet ouvrage, Yuxi Liu trace un portrait de l’évolution des relations Québec-Chine dans les années 1960 et 1970, principalement à travers la contribution des acteurs non étatiques. Au moyen d’un retour méticuleux — et inédit — sur les interactions qu’ont eues avec la Chine ces groupes issus des milieux universitaire et étudiant, du monde des médias, des groupes de la gauche maoïste québécoise ou de la Société Canada-Chine, l’autrice nous fait revivre les différentes postures, compréhensions et incompréhensions des divers membres de la société civile par rapport à la Chine de Mao, jusqu’aux transformations qui ont suivi son décès. Comme le disait l’historien Jacques Langlais, « une perception porte l’empreinte de celui qui la perçoit » (p. 33). Yuxi Liu reste à tout moment sensible à « l’évolution des représentations de la Chine », comme un « balancier oscillant entre sinophobie et sinophilie » (p. 23). C’est une grande force de ce récit que de chercher à comprendre et à mettre en exergue les différentes positions que les acteurs ont tour à tour adoptées par rapport à une Chine qui n’était pas très connue à l’époque (chose qui n’a pas tellement changé) et ce qui pouvait les motiver. Un chapitre est consacré aux groupes et individus marxistes-léninistes (maoïstes) québécois, qui ont exercé une influence assez importante dans l’imaginaire collectif québécois de la Chine des années 1960 et 1970. Yuxi Liu explique que c’est la position particulière du Québec qui a permis une affinité ressentie par certains groupes québécois de la gauche envers les luttes politiques chinoises de l’ère Mao (si peu comprises qu’elles aient été réellement à l’époque). L’autrice cite Pierre Beaucage, selon qui le marxisme « a fourni à la gauche québécoise … un langage permettant de présenter et d’analyser la situation québécoise », y compris à travers « la dimension nationaliste de ces courants particuliers du marxisme ». En effet, c’est « la recherche laborieuse d’une articulation entre lutte nationale et lutte sociale qui a amené la gauche québécoise à s’intéresser au marxisme du tiers-monde » (p. 34). Les courants indépendantistes et anti-impérialistes québécois viendront ajouter une dimension supplémentaire. Le volume insiste également sur le rôle important des fondateurs de centres universitaires en études asiatiques au Québec, notamment Paul T.K. Lin à l’Université McGill et Charles Le Blanc à l’Université de Montréal. L’autrice détaille l’origine de cette « expérience unique québécoise » (p. 250), très peu étudiée jusqu’ici, en trois points. La première particularité a trait à une réalité et sa transformation subséquente : la domination de l’Église catholique jusqu’à la Révolution tranquille a d’abord créé un mélange de crainte du communisme ainsi qu’une compassion pour les Chinois vivant dans la pauvreté. À la Révolution tranquille, on assiste à une « sécularisation et [à une] diversification des perceptions » (p. 252) qui amène une ouverture sur le monde et un regard moins ethnocentrique que dans les décennies précédentes. Deuxièmement, le rôle important de la gauche québécoise ainsi qu’une politisation des perspectives s’inscrivant dans un mouvement « anti-impérialiste, anticapitaliste, socialiste et tiersmondiste » (p. 253) ont également joué. Finalement, Yuxi Liu explique que, de façon générale, on constate au Québec un manque de soutien institutionnel et un manque d’intérêt stable pour les relations envers la Chine. Ces particularités expliquent autant la teneur des liens entre le Québec et la Chine dans les années 1960 et 1970 que leur rapide déclin après la mort de Mao Zedong en 1976. La mort de Mao désoriente en effet plusieurs membres de la gauche québécoise qui avaient défendu la révolution culturelle et qui peinent à repenser leurs relations dans le sillage des …
Liu, Yuxi. Les relations Québec-Chine à l’heure de la Révolution tranquille (Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2022), 312 p.[Notice]
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Pascale Massot
Université d’Ottawa