Deschênes, Gaston. Un pays rebelle. La Côte-du-Sud et la guerre de l’Indépendance américaine (Québec, Septentrion, 2023), 258 p.

En 1834, la première des 92 Résolutions des Patriotes affirmait qu’au moment de la guerre de l’Indépendance des États-Unis, les « loyaux sujets de Sa Majesté » avaient montré « le plus grand attachement pour l’Empire britannique » et l’avaient « défendu avec courage » (p. 215). Cette idée que les Canadiens auraient sauvé la province de Québec en 1775 et 1776 lors de l’invasion américaine, que ce soit en prenant les armes du côté des Britanniques ou en faisant preuve de neutralité, a longtemps été mise de l’avant dans l’historiographie. Dans les années 1960, Gustave Lanctot écrit que les Canadiens qui ont choisi le côté des Treize Colonies n’étaient que des éléments minoritaires, ambitieux et remuants (p. 217). Cette nouvelle contribution de Gaston Deschênes, qui est la première étude consacrée exclusivement à la réaction sudcôtoise face à l’arrivée des « Bostonnais », nous amène à réévaluer cette perception. L’historien démontre, en croisant plusieurs sources, que ce n’est pas dans cette région que le gouverneur Carleton a trouvé les hommes pour défendre la colonie. Dans au moins la moitié des paroisses, dont Beaumont, Saint-Michel, Berthier, Saint-Pierre, Saint-Thomas, Cap-Saint-Ignace, Saint-Jean et Saint-Anne, les Sudcôtois « penchaient très majoritairement, voir massivement » en faveur des rebelles américains (p. 215). Le deuxième chapitre, « Aux armes ? », traite de la réaction de multiples acteurs face à la menace d’une invasion américaine qui se concrétise en 1775. Le gouverneur Carleton demande à l’évêque de Québec, M^gr Briand, de l’appuyer pour assurer la fidélité des Canadiens à la Couronne. Il écrit une lettre aux Canadiens, mais elle n’aura pas l’effet escompté. Le 9 juin, Carleton proclame la loi martiale avec l’objectif de recruter 6 000 miliciens, mais l’opération de mobilisation échoue et de nombreux cas de résistances sont signalés : en Beauce d’abord, puis à l’île d’Orléans, à la Côte-de-Beaupré, à Kamouraska, Saint-Thomas, Rivière-Ouelle et Berthier, notamment. « Non seulement les habitants de la Côte-du-Sud refusent-ils d’obéir à Carleton, écrit Deschênes, mais ils se mobilisent en grand nombre pour faciliter les opérations des Bostonnais » (p. 29). L’assemblée « séditieuse » de Pointe-Lévy, la mobilisation armée ainsi que le système de feux mis en place pour prévenir les rebelles de l’arrivée de forces royalistes en témoignent (p. 29-32). Dans les trois chapitres suivants, Deschênes analyse les faits et gestes des Sudcôtois pendant et après le siège de Québec. Y sont étudiés l’activisme des rebelles Clément Gosselin et Pierre Ayotte, les actions royalistes ayant mené à la bataille de Saint-Pierre, un affrontement entre les troupes du roi et les rebelles sudcôtois, ainsi que la levée en catastrophe du siège américain de Québec et ses suites dans la colonie — sanctions civiles, remplacements des capitaines et officiers de milice sudcôtois, emprisonnements, sanctions religieuses, légende des « excommuniés », etc. La grande contribution de cette première partie est de mettre habilement en valeur les différents acteurs touchés par les événements. Deschêne analyse le rôle des paroissiens, qu’ils soient neutres, rebelles ou royalistes, des seigneurs, des curés, des envahisseurs et des représentants du roi. Cette approche nous permet de bien saisir les dynamiques vécues par les contemporains. Qui plus est, l’analyse se concentre minutieusement sur une région qui, de toute évidence, n’a pas vécu l’invasion de la même manière que les villes de Québec et Montréal, où la loyauté des Canadiens était bien plus tangible. La deuxième partie de l’ouvrage apporte quant à elle un élément entièrement nouveau à l’historiographie. Adoptant une approche d’histoire sociale et familiale, Deschênes étudie 23 hommes au moyen de biographies individuelles, dont une quinzaine de Sudcôtois rebelles qui ont participé à la …