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Le Nouveau-Brunswick ne fait pas souvent les manchettes dans l’historiographie francophone, et encore moins l’éducation spécialisée dans cette province des Maritimes. La publication de toute information mérite donc à ce titre d’être soulignée. Bastien David, historien et spécialiste des technologies de l’information, et Charles Gaucher, anthropologue, nous proposent une introduction à l’histoire de l’éducation des personnes sourdes au Nouveau-Brunswick de la fin du 19e siècle à la fin du 20e. Le résultat représente un effort de défrichement d’un espace de recherche qui demande maintenant à être labouré par d’autres personnes intéressées par le sujet.

L’étude est structurée en trois parties. La première porte sur les efforts pionniers d’éducation à Saint-Jean, à Fredericton, puis à Lancaster, entre 1873 et 1917. La deuxième aborde le milieu associatif et les congrès de personnes sourdes qui ont pris naissance autour des institutions d’enseignement pour personnes sourdes et ont établi les bases d’une communauté sourde élargie. Enfin, la troisième partie présente les efforts d’éducation des personnes sourdes entrepris à partir de 1960 en collaboration avec la province voisine de Nouvelle-Écosse et basés à Amherst. L’approche, le ton et le style d’écriture des deux premières parties diffèrent singulièrement de ceux de la troisième, ce qui laisse croire que les deux auteurs se sont divisé le travail entre la consultation des archives pour la période plus ancienne et les entrevues de terrain pour la période plus récente sans trop intervenir sur le travail l’un de l’autre.

Les deux premières parties mettent surtout l’accent sur les individus ayant aidé à fonder les premières institutions, leurs divers conflits, ainsi que certaines de leurs relations avec d’autres éducateurs et éducatrices de personnes sourdes dans la province et au-delà. Ces liens sont cependant plus évoqués qu’analysés. Une approche prosopographique plus poussée aurait pu enrichir la compréhension du monde complexe de l’éducation sourde au tournant du siècle, alors que faisaient rage des débats autour des méthodes d’éducation à préconiser. Les liens interpersonnels avec les éducateurs et éducatrices d’institutions protestantes pour personnes sourdes d’Halifax, de Belleville (Ontario) et de Montréal suggèrent l’existence d’un réseau au sein duquel circulaient des idées fondatrices concernant les approches de l’éducation des personnes sourdes qui ne sont pas vraiment explorées. C’est là une occasion ratée. L’étude en deuxième partie de l’émergence d’une « élite sourde » est un peu plus intéressante, même si l’idée est encore une fois plus évoquée que vraiment creusée. Il y a donc là des filons potentiellement riches pour la recherche future, qui pourrait entre autres intégrer l’abondante « presse sourde » nord-américaine comme source.

Dans le cadre canadien, les débats éducatifs au 19e siècle doivent également être situés dans le cadre confessionnel. Si l’Église catholique ne domine pas autant la scène éducative et philanthropique au Nouveau-Brunswick qu’au Québec, elle est néanmoins présente dans l’éducation en français dans le cadre minoritaire, ce dont témoigne l’âpre question des écoles franco-catholiques dans la province durant les années 1870, qui coïncide avec les débuts de l’éducation aux personnes sourdes. On se serait attendu à ce que cette crise figure au moins en filigrane d’une étude de l’éducation spécialisée à l’époque. Dans l’ensemble, les francophones sont presque entièrement absents des discussions autour de ces premières fondations. À ces questions qui auraient pu donner plus de substance à l’étude, on préfère une description détaillée des lieux où se sont implantées les institutions ainsi que de leur architecture. Ces détails sont intéressants mais ne peuvent pas vraiment nourrir une analyse plus poussée. Peut-être s’agit-il toutefois ici d’un manque de conservation d’archives pertinentes : les institutions n’ayant pas vraiment duré, la documentation les concernant est probablement éparse et peu abondante, ce qui est souvent le cas pour des initiatives privées du genre. Difficile d’éplucher des archives inexistantes. À ce titre, on ne peut que louer les auteurs pour avoir fait ressortir l’information qu’ils ont pu trouver, mais cela n’excuse pas la pauvreté de l’analyse de fond et le manque de contextualisation.

C’est en cela que la troisième partie, qui a pu bénéficier d’un complément d’entrevues avec des personnes ayant vécu l’époque, est plus riche sur le plan analytique ; elle cherche également à différencier les services aux personnes sourdes issues des milieux anglophone et francophone. On y voit également un regard qui s’étend davantage à l’ensemble des Maritimes, étant donné que l’institution est dorénavant située à Amherst dans l’isthme de Chignectou. L’ouvrage situe également cette initiative d’éducation des personnes sourdes dans la perspective plus large des philosophies pédagogiques de l’époque, qui s’orientent davantage vers une approche d’éducation spécialisée basée sur un modèle de déficience qui n’est pas unique au Nouveau-Brunswick. Il réserve un court chapitre pour aborder la situation particulière des personnes sourdes d’ascendance francophone et de leur dispersion au début des années 1990.

On salue donc la publication d’un ouvrage en français sur l’éducation des personnes sourdes hors Québec qui ouvre la porte sur l’histoire des communautés sourdes à la grandeur du pays. Le volume ne compte que 130 pages de texte, ce qui en fait, malgré ses faiblesses, une introduction utile et abordable au sujet. On ne peut qu’espérer que cela invite à poursuivre la recherche dans ce domaine afin d’enrichir l’analyse de fond.