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Ce livre a le mérite d’être la première monographie consacrée intégralement à l’étude de la Commission royale d’enquête sur les relations entre le Dominion et les provinces. Instituée en août 1937 et faisant rapport en mai 1940, cette commission avait comme mandat de réexaminer « les bases sur lesquelles repose le pacte confédératif du point de vue financier et économique, ainsi que l’attribution des pouvoirs législatifs à la lumière des développements économiques et sociaux des derniers soixante-dix ans ». Les auteurs indiquent avec justesse que les historiens et politologues qui l’ont étudiée ont reconnu l’importance de son rapport, puisqu’il établit des références qui influenceront durablement l’évolution du fédéralisme canadien. Plus précisément, l’historiographie affirme depuis longtemps que le rapport Rowell-Sirois a été une impulsion à la tendance centralisatrice du fédéralisme canadien depuis l’après-guerre. Les auteurs proposent pour leur part que les spécialistes n’ont pas pris la pleine mesure du rapport, de ses recommandations et de son impact immédiat.

Une quantité impressionnante de sources sont mobilisées pour en faire la démonstration. Le corpus principal est constitué entre autres d’éléments du fonds de la Commission, notamment les procès-verbaux des réunions entre les commissaires et le personnel, les mémoires déposés par les gouvernements provinciaux et les différents groupes de la société civile et, bien sûr, le rapport lui-même. À cela s’ajoutent les articles de différents quotidiens qui suivent attentivement les travaux de la commission, ainsi que des documents qui permettent de jauger les réactions des politiciens qui interagissent avec elle. Avec toutes ces sources, les auteurs ont réussi à dresser la chronologie des travaux de la Commission et de ses suites avec une précision étonnante.

Les trois premiers chapitres examinent les facteurs qui ont mené à la création de la commission. Wardhaugh et Ferguson y font l’historique des développements économiques et constitutionnels du Canada depuis la Confédération jusqu’aux années 1930, où la crise met en relief les difficultés de l’ordre politique. Ils se penchent ensuite sur la question des troubles économiques vécus par les provinces, particulièrement celles de l’Ouest, durement frappées par la crise. La question des revenus étatiques s’impose alors et deux tendances se dessinent : une centralisatrice autour d’Ottawa et une régionaliste autour de Québec et de Queen’s Park. Tout est alors en place pour la mise sur pied de la commission. On apprend à ce moment que certains politiciens sont vraiment inquiets de l’état de l’unité nationale et qu’ils fondent de grands espoirs sur les travaux des cinq commissaires (issus des cinq régions du pays) et de leur personnel. D’emblée, la constitution même de l’équipe est un sujet de contentieux dans les provinces récalcitrantes.

Les cinq chapitres suivants explorent l’organisation et les délibérations de la commission, particulièrement au regard des attitudes des différentes provinces. On y découvre particulièrement tous les écueils qu’elle a traversés, qui vont des ennuis de santé des commissaires — particulièrement ceux du président Newton Rowell qui doit céder sa place au Québécois Joseph Sirois —, au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale qui fait ombrage à la publication du rapport. C’est cependant du côté des provinces récalcitrantes que le bât blesse le plus. En effet, le Québec de Maurice Duplessis et l’Ontario de Mitchell Hepburn boycottent la commission parce qu’ils y voient un stratagème du gouvernement du Dominion pour justifier la centralisation des pouvoirs à son avantage pour ultimement éviter aux provinces de l’Ouest d’en arriver au défaut de paiement.

À cet égard, il faut relever une ombre au tableau dépeint par cet ouvrage : les auteurs ont tendance à présenter les conflits politiques autour de la commission de façon franchement manichéenne. Sans doute influencés par la perspective de leurs sources majoritairement produites par des acteurs de la commission et des politiciens fédéraux, ils présentent les perspectives centralistes de manière plutôt positive alors que les régionalistes qui mettent de l’avant la théorie selon laquelle la Confédération est un pacte entre les provinces — surtout Duplessis et Hepburn — tiennent clairement les rôles de vilains de l’histoire.

Ce biais centraliste est présent tout au long de l’ouvrage, mais il est particulièrement vif dans ses trois derniers chapitres, où les auteurs analysent les recommandations du rapport, sa réception immédiate et son influence. Le rapport proposait essentiellement le transfert à Ottawa de l’assurance emploi, des impôts sur le revenu des particuliers et des sociétés et des droits de succession. Cette perte de revenus pour les provinces serait compensée par un nouveau régime de transferts inconditionnels basés sur leurs besoins et non plus sur leur poids démographique, ainsi que par la prise en charge des dettes provinciales par Ottawa. Ici encore, les auteurs semblent adopter le point de vue des commissaires (à l’exception possible de Sirois, qui a subi de la pression de la part de ses collègues pour donner son assentiment à ces propositions) selon lequel ce « Plan One » n’était pas nécessairement centralisateur puisque la division des pouvoirs législatifs resterait grosso modo la même.

Ils contredisent également l’historiographie en affirmant que le rapport n’a pas eu l’influence immédiate qu’on lui attribue puisque le gouvernement central n’a finalement appliqué que le rapatriement des impôts et de l’assurance emploi sans pour autant changer la forme de ses transferts aux provinces. Or, il faut avouer que cette thèse est assez faible. Quoi qu’en pensaient alors les commissaires, une perte de contrôle de sa fiscalité par une entité fédérée est de facto une perte d’autonomie. Il est vrai que les autres recommandations du rapport ont été largement occultées par les spécialistes, mais les découvertes de Wardhaugh et Ferguson auront probablement peu d’impact sur l’évaluation qu’on fait les spécialistes québécois (qui par ailleurs sont cruellement peu cités dans ce livre) du rapport Rowell-Sirois. Cela étant dit, il faut saluer le travail méticuleux qu’ont fait les auteurs dans la rédaction de ce livre. Ils comblent ainsi un vide de l’histoire du fédéralisme canadien, ce qui servira à bien d’autres spécialistes de la question.