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Voici un livre éclairant. Il nous fait voir la représentation diplomatique du Vatican à Ottawa, de l’ouverture d’une délégation apostolique, en 1899, jusqu’au moment où elle accède au statut de nonciature, en 1969, sans oublier les missions particulières de six prélats au 19e siècle : Bedini (1853), Persico (1873-1876), Roncetti (1875), Conroy (1877-1878), Smeulders (1883-1884) et Merry del Val (1897). Il est le fruit d’un colloque tenu à Rome sur ce thème en 2015. Onze auteurs participent à ce livre ; malheureusement, on ne nous fournit aucune indication sur leur affiliation ou leur spécialité. Certains sont connus, d’autres moins ; il aurait été intéressant de savoir, par exemple, qu’Athanasius D. McVay, qui fait une merveilleuse synthèse de la question si complexe des Ruthènes au Canada, est le directeur des études ukrainiennes à l’Université de Toronto, qui le présente ainsi : « priest, archival researcher and full-time professional Church historian specializing in the history of the Holy See’s diplomacy and of the Ukrainian Greek-Catholic Church in the XIXth and XXth centuries ». En passant, c’est le seul texte en anglais du recueil. On y voit le sort de ces Grecs-catholiques de la Galicie autrichienne qui réussissent, notamment grâce à l’appui de la délégation apostolique, à obtenir en 1912 un évêque spécialement pour eux, Nykyta Budka, lequel causera bien des problèmes et sera amené à démissionner en 1928. Ce texte de 15 pages est un bijou de synthèse où on apprend tout l’essentiel sur ces Ukrainiens catholiques de la fin du 19e siècle au milieu du 20e, avec des questions aussi délicates que celle des prêtres mariés.
Le plus gros de l’ouvrage nous présente les dix délégués apostoliques qui se sont succédé de 1899 à 1969. Les trois derniers (Baggio, Pignedoli, Clarizio) n’ont que peu d’importance et ne sont pour ainsi dire pas traités. Le premier, Mgr Falconio, n’a droit qu’à un maigre cinq pages, d’ailleurs mal placées dans la section des « précurseurs ». Par contre, le deuxième, Donato Sbarretti (1903-1910) — qu’il faut écrire avec deux « r », mais qu’on trouve encore souvent avec un seul, même ici, à six reprises dans les notes de McVay —, a droit à un double traitement : d’abord, une présentation générale de son parcours par Giovanni Pizzorusso, lequel résume ici un article publié en 1993 et déjà reproduit dans un collectif en 2011, puis une recherche originale de Gilles Routhier, qui épluche par le menu toute la correspondance conservée aux archives de l’Archevêché de Québec au sujet de la préparation du concile plénier de 1909, présenté comme une victoire de Mgr Sbarretti sur Mgr Bégin, lequel voit ainsi la direction de l’Église catholique canadienne basculer de Québec vers Ottawa. Rien par contre sur le délégué suivant, le servite Pellegrino Stagni (1910-1918), sur lequel Donald Tremblay a pourtant produit une thèse de doctorat de 380 pages (Université Laval, 1995). Dans ce cas (comme pour tous les autres, d’ailleurs), on peut se référer aux notices substantielles de Jean LeBlanc dans son Dictionnaire biographique des évêques catholiques du Canada (2012).
On passe directement à un court portrait par Marina Loffredo du délégué Pietro di Maria (1918-1926), un diplomate estimé « qui sut être ministre de la paix et de la concorde » (p. 169). Les deux délégués suivants ont droit à un traitement plus substantiel. Fin connaisseur, Pierre Hurtubise exploite les archives des Oblats à Richelieu et à Rome pour décrire les relations entre le père Villeneuve, futur cardinal, et le délégué Andrea Cassulo, dont il fut un conseiller et ami. De son côté, Olivier Sibre brosse un portrait de la carrière d’Ildebrando Antoniutti qui, avant d’être délégué au Canada (1938-1953, le plus long mandat), a travaillé de 1927 à 1935 à Pékin, où Sibre l’a analysé dans sa thèse, « Le Saint-Siège et l’Extrême-Orient » (2012). Il analyse surtout ses réseaux, qui lui ont permis de devenir éventuellement cardinal, en 1962.
Quelques autres articles s’ajoutent. Signalons-en deux. Auteur d’une thèse (Concordia, 2019) sur les missions canadiennes-françaises en Afrique entre 1940 et 1980, Éric Desautels étudie les rapports entre les missionnaires canadiens-français et les délégués apostoliques durant toute la période (1899-1967). On y voit l’importance des postes antérieurs des délégués : ceux qui ont eux-mêmes été en pays de mission sont naturellement plus portés vers les missionnaires. C’est le cas d’Antoniutti, dont nous avons déjà mentionné ses années en Chine. Les années 1960 voient l’apogée des missions, mais aussi la mise à l’écart du délégué apostolique, qui n’a plus guère d’importance à la suite du concile Vatican II, depuis lequel la figure du pape tient une place beaucoup moins importante.
L’autre article est celui de Luc Courtois, qui a voulu fouiller le plus possible la biographie de dom Henri Smeulders, belge comme lui, envoyé au Québec en 1883. Le texte est d’une science et d’une érudition que seuls les Belges peuvent maîtriser à ce point ; malgré tout, on le prend en défaut lorsqu’il identifie C.E. Rouleau comme Corinne Rocheleau Rouleau (1881-1963), alors qu’il s’agit manifestement de Charles Edmond Rouleau (1841-1926), bien connu comme un vaillant zouave pontifical !
Si c’était la seule erreur qui dépare cet ouvrage ! Manifestement, la révision scientifique a été négligée. Ainsi, on se demande qui est cet évêque Collard (p. 162) ; il s’agit en fait de Scollard. Desautels nous parle (p. 235) du père blanc Napoléon-Alphonse Labrie ; la dernière ligne de sa thèse nous indique pourtant qu’il s’agit bien de l’eudiste Napoléon-Alexandre Labrie.
Le directeur de l’ouvrage a pourtant fait de beaux efforts. Outre son article fort développé sur la mission de Mgr Merry del Val en 1897, où on regrette qu’il ne tienne aucun compte de l’historiographie (par exemple, le livre de Paul Crunican sur les écoles du Manitoba ou la biographie de Mgr Taché par Raymond Huel), il a confectionné un très commode répertoire de l’ensemble des délégués de 1853 à 1970. Signalons aussi le dernier article du recueil, celui de Matteo Sanfilippo, qui fait une présentation pratique des principaux fonds canadiens conservés dans les archives vaticanes, les deux principaux dépôts étant les Archives apostoliques du Vatican (AAV, autrefois Archives secrètes, ASV) et celles de la Propagande, dont relève le Canada jusqu’en 1908 et qui contient après 1908 tout ce qui concerne les missions canadiennes (le nom de cette congrégation peut surprendre : c’est une transcription du latin De propaganda fide, comment propager, répandre la foi…).
En somme, même si on rechigne souvent en lisant cet ouvrage, on s’y instruit beaucoup.