Corps de l’article
Découlant du projet de recherche « Object Lives and Global Histories in Northern North America : Networks, Localities, and Material Culture c. 1700s-2000s », l’ouvrage rassemble les contributions d’une douzaine de chercheuses. Principalement rattaché à des institutions muséales ou à des établissements universitaires en Angleterre et au Canada (au Québec, le Musée McCord et l’Université Concordia), le collectif multidisciplinaire comptait deux membres des Premières Nations, alors que certains autres participants avaient une longue expérience de relations avec elles.
L’ouvrage s’ouvre sur un chapitre méthodologique présentant l’approche collaborative utilisée, celle-ci étant présentée comme une des forces du projet de recherche. Il s’agit en fait d’investiguer les interactions qui se sont incarnées dans les objets, ceux-ci étant créés, consommés, utilisés ou collectionnés tour à tour par les membres des Premières Nations, les colons, les commerçants et les collectionneurs. L’approche s’appuie sur des études de cas puisant à une large gamme de cultures, de communautés, de territoires et de périodes, afin de comprendre les dynamiques globales qui ont, en Amérique du Nord, touché à la fois les colonisateurs et les Premières Nations.
La recherche s’appuie sur les possibilités offertes par la biographie des objets pour analyser les réseaux d’échanges, dans lesquels les membres des Premières Nations jouent un rôle central. Elle vise à révéler la richesse de la culture matérielle grâce à une approche méthodologique interculturelle et interdisciplinaire centrée sur des objets particuliers. Les auteurs s’intéressent non seulement à la provenance des objets, mais aussi à leur circulation et à la façon dont les interactions s’incarnent dans la matérialité des objets, par l’intégration de matériaux ou le partage de techniques, de motifs ou d’éléments décoratifs empruntés aux autres groupes en présence.
L’interaction physique avec les objets était centrale dans ce projet de recherche puisque l’observation, la réflexion et les échanges entre les chercheuses en présence des artéfacts venaient alimenter leurs analyses. Les aspects physiques et sensibles des objets, leur matérialité, sont ici essentiels aux investigations.
Par exemple, le fait qu’une lithographie fasse partie d’un album laisse des traces matérielles d’usure différentes que celles visibles sur une oeuvre encadrée ; le degré d’usure d’un manteau est révélateur de son usage, comme objet de collection ou vêtement abondamment porté et réparé ; le port d’une reproduction d’un manteau permet d’expérimenter la sensation de bouger dans ce vêtement ; les sons qu’émettent des dés à coudre et des pièces de métal qui ornementent un sac fascinent et nous transportent dans un autre espace-temps[1]. De tels contacts avec la matérialité des objets permettent de vivre des sensations qui ne peuvent être obtenues par la simple observation et rapprochent, d’une certaine façon, des utilisateurs précédents de ces objets. Cette approche se distancie de l’importance accordée au regard dans la civilisation occidentale, en donnant plus de place aux aspects sensibles, au ressenti, et à la matérialité des objets.
Cet intéressant chapitre méthodologique est suivi de 11 études de cas portant sur des vêtements (manteau, costume pour la glissade, chandail « arctique »), des lithographies, des sculptures, des poupées, un sac, un wampum. Ces études de cas abordent différentes facettes de la vie de ces objets, en s’intéressant parfois à leur fabrication, mais davantage aux multiples échanges qui les ont transformés, à leur circulation dans le temps, à ce que révèle les traces d’usure sur leur utilisation ou leur manipulation, et par le fait même, sur les changements de sens de ces objets au fil du temps pour différentes personnes.
Considérant l’intérêt du chapitre introductif expliquant les aspects méthodologiques, on aurait souhaité ressentir davantage les avantages de ceux-ci. En effet, si l’approche présentée est inspirante, on sent peu dans les chapitres qui suivent les bénéfices de ce travail collaboratif et l’apport des échanges entre les collaboratrices du projet. À cet égard, l’article de Laura Peers est sans conteste celui qui illustre le mieux la richesse que peut apporter l’approche méthodologique choisie, en mettant en relation des vêtements de la collection du musée Pitt-Rivers (Oxford) qui, en principe, ont peu en commun : des manteaux de cuir provenant de l’Ouest canadien et un banyan (robe d’intérieur de style oriental), révélant notamment une parenté dans la coupe et dans l’utilisation.
Si l’approche peut être déstabilisante pour des chercheurs peu familiers avec les études en culture matérielle, les habitués des recherches en culture matérielle pourraient s’interroger sur ce qui distingue les résultats de cette méthode d’une recherche plus classique appuyée sur l’observation des objets, la documentation, les témoignages ethnographiques, etc., approche familière entre autres aux spécialistes des musées. Cela dit, l’ouvrage offre une démonstration convaincante de la pertinence et de la variété d’informations dont sont porteurs les objets pour qui prend le temps de les analyser dans leurs multiples facettes.
Parties annexes
Note
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[1]
Voir le site web du projet de recherche pour un extrait sonore : [http://objectlives.com/discovery-workshop/2015/10/31/prm-dew-claw-bag].