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L’ouvrage de Camil Girard et Carl Brisson, leur troisième sur le thème des traités et des alliances, représente une avancée majeure dans la (re)connaissance du peuple malécite (wolastoqiyik) au Québec. Au terme de cet ouvrage, le lecteur s’étonnera sans doute d’avoir si peu entendu parler des Malécites jusque-là. Car cette nation autochtone est au coeur de l’histoire canadienne de par ses participations à divers traités dès 1603, ses échanges culturels et économiques avec les colons ou encore ses revendications territoriales et culturelles. Ils ont été évacués de la mémoire collective au 19e siècle, avant de renaître en tant que nation en 1987. Depuis, les Malécites au Québec reconstruisent leur histoire, en se donnant notamment un nom : la Première Nation malécite de Viger puis la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk. Par ce dernier terme, ils s’identifient non plus à leur village perdu de Viger (près de Rivière-du-Loup), mais à leur territoire traditionnel qui englobe la rivière Saint-Jean et le rivage du Saint-Laurent. Ce faisant, ils renouent avec leur histoire, avec les alliances et les traités conclus avec les monarchies française puis anglaise, faisant fi des politiques canadiennes d’exclusion, de sédentarisation et d’assimilation des Autochtones.

Ce renversement de perspective historique représente l’axe de recherche privilégié dans cet ouvrage. Les auteurs s’appuient, dans leur travail de déconstruction  /  reconstruction historique, sur de nombreuses sources bibliographiques et archivistiques. En annexe sont d’ailleurs publiés les principaux documents historiques analysés. En outre, les auteurs ont produit une quinzaine de cartes inédites qui donnent un ancrage historique et territorial aux Malécites. Le résultat souffre cependant de quelques faiblesses de mise en forme. On pourra noter un style littéraire inégal, qui n’entrave cependant pas la compréhension du propos. Par contre, la structure de l’ouvrage en quatre niveaux sans hiérarchisation numérique des titres ne facilite pas la lecture. De plus, la narration chronologique, pas toujours évidente à suivre avec ses nombreux retours en arrière, accumule les redites et entrave le travail de synthèse des auteurs.

C’est bien plus sur le fond du propos que l’ouvrage trouve toute sa force et sa cohérence. Son intérêt ne s’arrête pas à l’étude d’une nation amérindienne méconnue qui, à cause d’une politique coloniale particulièrement désastreuse, se trouva dispersée puis oubliée. Cette recherche, originale par son sujet d’étude, se montre aussi singulière en raison de son axe de recherche. Partant du constat que l’histoire nationale au Canada néglige délibérément l’importance historique des relations dites de « nations à nations » entretenues avec les Autochtones durant la majeure partie de l’époque coloniale, les auteurs proposent, dans une déconstruction des mythes de fondation nationale, de reconstruire cette histoire en changeant nos représentations des Autochtones du Canada.

Les cinq premiers chapitres s’intéressent ainsi aux alliances et aux traités euroamérindiens du 16e au 18e siècle. Les deux premiers chapitres sont entièrement consacrés aux premiers contacts et au développement de la Nouvelle-France. Les auteurs rappellent que les Malécites, aux côtés de leurs alliés innus et algonquins (anishinaabés), sont les acteurs, dès 1603, de la naissance d’une politique officielle d’alliances franco-amérindiennes entre nations libres et indépendantes. Les échanges commerciaux et la paix sont au fondement de ces traités qui reconnaissent les droits territoriaux et culturels des nations autochtones. Le chapitre 2 est de loin le plus long du livre. Il couvre une riche période d’alliances avec la France pourtant oblitérée par l’histoire nationale au profit de la Proclamation royale de 1763 et des politiques de pacification  /  sédentarisation  /  assimilation qui suivront. Ce chapitre est également l’occasion pour les auteurs de proposer une carte détaillée inédite du territoire traditionnel des Malécites (p. 121). Elle représente la synthèse de 30 cartes historiques tracées entre 1604 et 1764 qui nous informent sur les lieux fréquentés par les Malécites (portages, rivières, chemins, villages, campements, missions et postes de traite).

Au fil des chapitres 3 et 5, les auteurs rappellent, de manière plus succincte toutefois, que les Britanniques ont continué une politique de traités et d’alliances de nation à nation avec les peuples autochtones, notamment avec les Malécites qui étaient encore bien présents sur la scène historique. Mais alors que l’idée de cession ou de vente territoriale n’était pas à l’ordre du jour sous le Régime français, la Proclamation royale de 1763 introduit l’idée que le territoire indien peut être vendu ou cédé à la Couronne d’Angleterre.

Le chapitre 6 s’intéresse au 19e siècle, période durant laquelle les termes de la Proclamation seront réinterprétés à l’aune de nouvelles réalités politiques, idéologiques, démographiques ou encore économiques. À la suite du rapport de la commission Bagot (1844), les idées de conquête et de civilisation s’imposent et viennent justifier les politiques d’exclusion, de spoliation territoriale et d’assimilation des Autochtones. Il s’agit pour les auteurs d’un tournant politique et historique radical, traçant une rupture nette dans les relations sociopolitiques entre les nations euro-canadiennes et les Premières Nations. S’opère alors, selon eux, la véritable conquête du monde autochtone. C’est dans ce contexte général que les auteurs retracent le déclin de la nation malécite au Québec : revendications dès 1826 pour obtenir un village à Viger alors que la colonisation réduit leur territoire de chasse, ni cédé ni vendu, puis dissolution de ce petit territoire malécite en 1869 qui achèvera le processus de dispersion.

L’ouvrage se termine par un court chapitre qui traite de la renaissance de la nation malécite du Québec dans un contexte de reconnaissance constitutionnelle et juridique des peuples autochtones et de leurs droits, mais aussi d’exclusion persistante du fait du maintien d’une politique d’extinction de ces mêmes droits. Dans ce contexte politique et juridique incertain, les auteurs appellent l’État canadien à renouer sans détour avec la politique préconfédératrice, en redonnant notamment aux Autochtones leur statut de nations alliées et leur rôle en tant que cofondateurs de la nation canadienne, rôle que les Malécites tiennent depuis les premiers temps coloniaux.