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Dans ce petit livre comprenant une note, deux préfaces, un avant-propos, 11 chapitres et les remerciements, David Cliche dissèque la partie de sa vie active au gouvernement du Québec, tout particulièrement comme attaché parlementaire de Jacques Parizeau et comme ministre des Affaires autochtones dans les années 1990.

Comment réconcilier le droit à l’autodétermination des Premières Nations et la démarche pour accéder à la souveraineté du Québec. Le référendum de 1995 se prépare et les relations avec plusieurs communautés autochtones sont des plus tendues. Les Cris (Nehiyawok) mènent une campagne nationale et internationale contre le projet de complexe hydroélectrique Grande-Baleine, au Nunavik. Ce projet risque de saccager l’environnement et détruire leur mode de vie, et le grand chef Matthew Coon Come est allé jusqu’à parler d’ethnocide (p. 85). Ce qui ternit l’image du Québec, tant ici qu’à l’étranger. Or c’est principalement la perception à l’étranger des relations avec les Autochtones qui inquiète le gouvernement du Québec, car pour accéder à la souveraineté il faut une reconnaissance internationale, tout particulièrement des États-Unis et de la France. En avant-propos, David Cliche écrit :

Nous étions convaincus que les questions autochtones et les questions territoriales qui y sont associées seraient au coeur du débat référendaire et que les États tiers, qui seraient appelés à nous reconnaître à la suite d’un référendum gagnant du camp du Oui, porteraient une attention particulière aux intentions du Québec quant au respect des nations autochtones et de leurs droits.

La campagne des Cris aux États-Unis et en Europe fait mal à l’image du Québec et met en péril la reconnaissance d’un éventuel Québec souverain. Le lobbyisme des Cris et de plusieurs organisations environnementales, telle la Société nationale Audubon, parvient à faire annuler « un contrat de plusieurs milliards de dollars avec la New York Power Authority qui prévoyait la livraison ferme [par Hydro-Québec] de 800 mégawatts entre 1999 et 2018 » (p. 88). Devant cet état de fait, Cliche recommande à Parizeau d’abandonner le complexe Grande-Baleine. Selon lui, les Cris et les autres opposants au projet ont essentiellement gagné la bataille médiatique et politique, l’image d’Hydro-Québec et du Québec sont affectées, les politiciens américains sont très sensibles aux arguments des opposants et, à terme, dit-il, nous n’avons pas besoin de l’énergie qui serait produite par le projet. À la suite d’une rencontre avec des représentants cris, poursuit l’auteur, « j’étais convaincu que les Cris offriraient rapidement de reprendre le dialogue avec le gouvernement du Québec si celui-ci abandonnait le projet Grande-Baleine et proposait d’avoir une discussion plus large sur l’établissement d’une nouvelle relation de nation à nation » (p. 94). Le projet est abandonné le 18 novembre 1994 ; le 23 mai 1995 un protocole d’entente est signé confirmant la reprise du dialogue entre le Québec et les Cris, ce qui jette les bases de la Paix des Braves de 2002.

Les autres nations autochtones s’opposent elles aussi à la souveraineté du Québec. En fait, écrit l’auteur, « toutes les nations autochtones du Québec étaient défavorables, voire énergiquement opposées, au projet de souveraineté du Québec » (p. 151). La question est : « si les Québécois ont le droit à l’autodétermination et veulent se séparer du Canada, pourquoi les nations autochtones, qui ont aussi le droit à l’autodétermination, ne peuvent-elles pas se séparer du Québec et rester dans le Canada ? » (p. 144).

La réponse de Cliche est que le Québec ne deviendrait pas souverain sur la base du droit à l’autodétermination mais bien sur celle du droit international. En effet, selon une étude de 1992 intitulée « L’intégrité territoriale du Québec dans d’hypothèse de l’accession à la souveraineté », produite par Allen Pellet et al. et commandée par la Commission parlementaire d’étude des questions afférentes à l’accession du Québec à la souveraineté qui a tenu des travaux d’août 1991 à septembre 1992, on peut lire : « Dès lors, dans une situation non coloniale, l’accession à la souveraineté d’un territoire est une simple question de fait au regard du droit international : le nouvel État est considéré comme tel si son existence est effective. La reconnaissance par les États tiers (et par l’État dont le territoire concerné s’est détaché) constitue un test de cette effectivité » (p. 68). Cette étude aborde le sujet de l’intégrité du territoire : « Lorsque la sécession se produit dans le cadre d’une circonscription territoriale bien définie, les anciennes limites de celle-ci constituent les frontières du nouvel État (principe de l’uti possidetis juris) » (p. 68).

Bien que l’étude définisse clairement le droit international en matière de sécession, c’est là un argument très peu convaincant pour les Autochtones qui, de leur côté, envisagent le tout à partir du droit à l’autodétermination, veulent demeurer au sein du Canada et ainsi diviser le territoire du Québec. Deux positions difficilement réconciliables.

Voilà pour l’essentiel de la démarche de Cliche. Dans la même ligne de pensée, au chapitre 7, il aborde la situation en territoire mohawk. En 1994, la Sûreté du Québec ne patrouille plus à Kahnawake ni à Kanesatake. Mais à la suite de ses démarches et rencontres, écrit l’auteur, « … j’avais contribué à rétablir des lois québécoises sur les territoires mohawks, particulièrement en matière de sécurité publique » (p. 118). Et au chapitre 8, avec l’objectif de montrer que les questions autochtones étaient prioritaires pour le gouvernement, il décrit ses rencontres avec diverses nations autochtones, entre autres les Cris, les Atikamekw et Innus, les Hurons-Wendats, les Inuits, les communautés algonquines (anishinaabées) et l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador. Il termine son livre en abordant les démarches entreprises en France et avec la Communauté européenne et enfin avec les États-Unis.

Cette belle plaquette, quelque peu difficile à suivre à cause des digressions et anecdotes, met en lumière le processus décisionnel au sein du gouvernement et décrit très bien les démarches entreprises auprès des Autochtones et de certains États pour obtenir la reconnaissance de la souveraineté du Québec et de son intégrité territoriale.