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Depuis quelques années, les expositions universelles jouissent d’un regain d’intérêt, comme en témoignent la création toute récente de l’Institute for the Study of International Exhibitions (ISIE) qui a tenu son premier congrès en mars 2022, et l’ouverture en 2015 du World Expo Museum à Shanghai sur le site de l’Exposition de 2010. Ce renouveau se traduit d’ailleurs par une collaboration plus serrée entre les milieux académiques et professionnels, où l’analyse historique et culturelle de ces événements entre en dialogue avec les architectes, gestionnaires et plasticiens directement impliqués dans la conception des expositions.
L’ouvrage collectif In Search of Expo 67 dirigé par Monica Kin Gagnon, professeure en communication à l’Université Concordia, et Lesley Johnstone, conservatrice au Musée d’art contemporain de Montréal, illustre bien cette tendance, moins analytique que performative dans l’appréhension des expositions. La publication de ce livre prolonge la tenue de l’exposition éponyme qui a été présentée en 2017 au Musée d’art contemporain de Montréal à l’occasion du 50e anniversaire d’Expo 67, et qui rassemblait les oeuvres de 19 artistes d’aujourd’hui. L’ensemble des contributions de ce livre montrent ainsi comment une réflexion muséographique sur les implications d’un événement marquant, pour ne pas dire mythique, dans le parcours historique du Québec contemporain peut amener chercheurs et créateurs à explorer différentes facettes et des dimensions souvent occultées des expositions universelles, celles-ci ayant malgré tout vocation d’être des manifestations à saveur officielle et consensuelle. Mais ces contributions témoignent aussi du développement d’expérimentations plastiques permettant de mettre au jour une pluralité de voix et d’archives qui ont pu se déliter dans le tumulte de l’événement.
Le titre du livre présente d’emblée le fil conducteur des différents textes. Partir « à la recherche d’Expo 67 » implique, comme les auteures le soulignent d’entrée de jeu dans leur introduction, qu’il subsiste aujourd’hui de nombreux filaments historiques encore inexplorés, et que notre mémoire collective d’Expo 67 reste partielle et fragmentaire. Un traitement artistique de l’héritage d’Expo 67, inspiré notamment dans plusieurs contributions par les réflexions récentes en histoire de l’art et en étude des médias sur la théorie critique de l’archive, permet précisément de déterrer des témoignages matériels se situant aux marges du passé institutionnalisé dans l’archivage officiel.
Le livre se divise en cinq sections distinctes. La première section, intitulée « Materialities and Temporalities », fait écho à de nombreuses réflexions actuelles animant les activités du Bureau international des expositions et l’organisation d’expositions universelles récentes et futures, notamment la question de la trace environnementale de l’événement, de son inscription et de son héritage dans le paysage. Les différents artistes explorent ainsi via le film, la capture d’images par drone, le son ou la photographie, les traces matérielles d’Expo 67 de manière à mettre en valeur à la fois l’impact toujours tangible de l’événement sur la transformation du paysage montréalais, et la progressive détérioration des artéfacts architecturaux et artistiques du site.
Les deux sections suivantes présentent respectivement des projets artistiques sur le pavillon du Canada et les représentations des communautés autochtones. Le pavillon canadien était constitué de plusieurs structures distinctes, parmi lesquelles la pyramide inversée Katimavik de neuf étages, « l’Arbre des gens » dont les feuilles rouges et orangées présentaient des photographies de Canadiens, et le Centre de Créativité, et chaque installation proposait une reconstruction créative de l’imaginaire national mis en scène à l’Expo. Les contributions suivantes des artistes Duane Linklater et Krista Belle Stewart constituent un point fort du livre, en ce qu’elles ouvrent à une réinterprétation de la représentation muséographique des communautés autochtones à la lumière des récentes discussions sur l’héritage historique des pensionnats et leur rôle dans l’effacement historique des communautés. Linklater met d’ailleurs ce processus en résonance avec la censure partielle de l’oeuvre de Norval Morrisseau Earth Mother with her Children par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Comme le montrent Guy Sioui Durand et David Garneau dans les chapitres analytiques suivant la présentation de ces installations, malgré le caractère consensuel des expositions universelles et leur héritage colonial, l’Expo 67 a aussi été l’occasion de mettre en lumière la condition des communautés autochtones du Canada, d’introduire leurs voix dans l’espace public, et de repenser les formes des médiations pour l’art et la culture autochtones.
La quatrième section, « Digital Reimaginings », présente les travaux de quatre artistes qui, comme l’intitulé l’indique, proposent une réimagination scénographique de l’Expo en appuyant leurs démarches sur les médias numériques. L’installation d’Emmanuelle Léonard sur le Pavillon chrétien suscite une réflexion sur les médias. Finalement, Stéphane Gilot donnait aux visiteurs l’accès au jeu vidéo Minecraft sur trois ordinateurs, et les invitait à recréer virtuellement de nouveaux pavillons d’exposition.
Par ailleurs, comme le signale le texte de Janine Marchessault qui conclut la partie du livre intitulée « Archival Remixes » et constitue la contribution la plus théorique de l’ensemble, l’archivage des innombrables documents médiatiques présentés à l’Expo 67 n’a jamais été accompli, pour des raisons qui peuvent être tant institutionnelles (l’absence d’un réel plan d’archivage officiel) qu’idéologiques et qui tiennent à un régime d’historicité tourné vers le futur plutôt que vers la conservation du passé. Cependant, et ce phénomène se prolonge dans les expositions universelles actuelles, l’Expo 67 fut aussi le théâtre d’une prolifération d’artéfacts médiatiques produits par les visiteurs eux-mêmes, qui se traduit par la constitution d’une « anarchive » de l’exposition fleurissant aujourd’hui sur internet grâce à l’activité décentralisée de visiteurs, collectionneurs et autres amateurs d’expositions universelles.
Ce très bel ouvrage richement illustré contribue-t-il à l’historiographie déjà extensive sur l’Expo 67 ou les expositions universelles en général ? On pourrait déplorer la minceur des récits ou témoignages oraux qui enrichiraient encore davantage la polyphonie des discours sur l’événement, ses recoins plus obscurs, ses devenirs et ses virtualités inexplorées. Cependant, en dernière analyse, ce livre répond bien au pari de constituer une « anarchive » illustrant la diversité des rapports à l’exposition et des fils historiques inattendus qui peuvent s’y dérouler, en remettant de l’avant des voix enfouies au coeur de ce grand événement officiel.