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Ouvrage collectif issu d’un colloque et réunissant les contributions de 23 chercheuses et chercheurs, Dans leurs propres mots. La mobilité dans les écrits personnels et les correspondances, XVIIe-XXe siècles, dirigé par Yves Frenette, Isabelle C. Monnin et Christine Nougaret, explore des corpus tantôt publiés, tantôt inédits témoignant d’une expérience de migration qui infléchit la trajectoire d’un sujet, et parfois d’une collectivité. En effet, la mobilité est ici conçue de manière large, embrassant à la fois les déplacements géographiques, volontaires ou contraints, les ascensions sociales, les déracinements, mais aussi la stabilité du sujet écrivant conscient du mouvement du monde qui l’entoure et dont le rythme de transformation influe sur son quotidien. Les articles privilégient les approches historiques et littéraires, plutôt que géographiques ou sociologiques, pour aborder ces écrits du for privé par le prisme de la mobilité, montrant tout l’intérêt de prendre la mesure de ce rapport au monde et au territoire à l’échelle de l’individu, dans les mots qu’il ou elle a laissés et qui ont été conservés. L’ouvrage s’organise en trois parties : la première, « Mobilité et écrits personnels », plus substantielle et historique, regroupe des études portant sur plusieurs genres de l’écriture de soi (journaux, mémoires, récit autobiographique) ainsi que sur des formes plurielles de migration : sociale, coloniale, scientifique, politique, religieuse, etc. ; la deuxième, « Mobilité épistolaire », se concentre exclusivement sur des correspondances : « moyen de communication entre les familles et les individus qui étaient partis de leur région natale et ceux qui y étaient restés » (p. 9), les lettres permettent aussi de restituer des « réseaux continentaux qui recoupaient parfois les diasporas acadienne, canadienne-française et franco-européenne » (p. 9) ; enfin, la troisième partie, « Approches littéraires de la mobilité », aborde les modalités particulières aux récits de migration des écrivaines et des écrivains. La première contribution scientifique du volume, de Christine Nougaret, expose en surplomb les écueils et les richesses de la recherche archivistique, question essentielle pour qui s’intéresse aux écrits personnels anciens et contemporains, et dont la mobilité des sujets « constitue un facteur de fragilité pour les archives » (p. 17). Cet article, judicieusement placé en ouverture, rend compte de l’important travail de coulisses réalisé par les autrices et auteurs des textes qui vont suivre sans pour autant être problématisé dans chacune des études.
Riche en découvertes de nouvelles voix, l’ouvrage laisse pourtant dans l’ombre plusieurs perspectives et corpus. Considérant le nombre substantiel d’articles, il peut en effet paraître étonnant qu’aucun d’entre eux n’associe l’expérience de la mobilité à l’histoire des émotions, champ de recherche en pleine effervescence, susceptible de rendre compte du choc de la rencontre ou de la rupture avec une communauté sensible. Aussi, si plusieurs contributions abordent les déplacements occasionnés par la vie professionnelle, notamment d’un berger analphabète, de scientifiques, de prêtres, de mineurs, etc., l’absence des diplomates et des reporters dont l’identité professionnelle repose sur le voyage et la découverte de l’ailleurs, et dont les mémoires constituent un corpus foisonnant, ne passe pas inaperçue. Il y aurait sans doute eu lieu de trouver un meilleur équilibre entre les professions représentées (six des contributions réunies se penchent sur des écrits personnels de religieux). De même, nombreux sont les articles qui insistent sur le processus de réhabilitation de corpus marginalisés dans lequel ils s’inscrivent. S’il est vrai que les écrits personnels ont longtemps été négligés, il n’en demeure pas moins que l’ouvrage témoigne de la persistance de rapports de pouvoir qui maintiennent certains individus dans un régime d’inaudibilité. Certes, Christine Nougaret relève l’absence de certaines voix, lesquelles échappent à l’entreprise de conservation et d’archivage des traces écrites : « Dissymétrie sociale, dissymétrie de genre, par leur nature, les archives, apanage des détenteurs du pouvoir d’écrire, posent donc un défi constant aux historiens des mobilités, en quête de traces des “invisibles de l’histoire” (Jacob et Rossi, 2003, p. 15) » (p. 18), mais il reste qu’à force de revenir sur l’oubli qui pèse ou qui a longtemps pesé sur les corpus étudiés, le volume tend à faire l’impasse sur l’absence de ceux ou de celles dont la mobilité n’a pas été analysée et qui sont pourtant mentionnés dans les textes, comme c’est le cas des esclaves et des Autochtones. Enfin, les contributions réunies ne traitent pas des enjeux qui favorisent la mobilité sur le territoire et la communication avec les proches éloignés, tels que le développement des moyens de transport et les transformations du système postal qui ont une incidence énorme sur la perception du monde et de la distance. Sur le plan éditorial, il aurait été intéressant de retrouver en fin de volume les notices biobibliographiques des contributrices et des contributeurs pour en savoir davantage sur les recherches passées et en cours des chercheuses et chercheurs, d’autant plus que leur affiliation institutionnelle n’est pas systématiquement mentionnée dans leur texte respectif. Il reste que si l’étude de la mobilité nous permet d’approfondir notre compréhension du passé, elle parle aussi beaucoup au présent. Souvent synonyme de précarité pour les sujets migrants des siècles anciens, les expériences de la mobilité décrites dans ce volume rappellent au lectorat contemporain le cas des réfugiés et réfugiées dont l’actualité nous parle, mais sans nous les donner à entendre « dans leurs propres mots ».