Comptes rendus

Dagenais, Dominic. Grossières indécences. Pratiques et identités homosexuelles à Montréal, 1880-1929. Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2020, 306 p.[Notice]

  • Leslie Choquette

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  • Leslie Choquette
    Institut français, Université Assumption (Massachusetts)

Cette excellente étude, tirée d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université du Québec à Montréal, constitue le premier survol de la sous-culture homosexuelle émergente de la ville de Montréal à la fin du 19e et au début du 20e siècles. L’auteur se base principalement sur des sources judiciaires – un dépouillement complet des archives de la Cour du recorder, de la Cour des sessions de la paix et de la Cour du banc de la reine (ou du roi, selon la période) –, assorties de rapports de commissions d’enquête, d’articles de journaux et de récits autobiographiques. Il s’en dégage le portrait d’une vie homosexuelle masculine « foisonnante et diversifiée » (p. 238), ancrée dans les classes populaires sans toutefois s’y limiter et souvent caractérisée par des identités genrées ou fondées sur des rapports intergénérationnels. Comme ailleurs en Occident, la sous-culture homosexuelle de Montréal se développe dans un contexte d’urbanisation et d’industrialisation rapides, d’une plus grande autonomie des jeunes travailleurs et de l’essor des loisirs commerciaux. Ces changements s’accompagnent, surtout dans le monde anglo-protestant, d’un courant de réforme morale et de lutte contre le « vice » ciblant les rapports homosexuels en même temps que la prostitution féminine et la consommation d’alcool. En 1885, le droit criminel britannique instaure le délit de « grossière indécence », qui punit tout acte homosexuel entre hommes, en public ou en privé, de cinq ans de réclusion. Quand le droit criminel canadien l’adopte en 1890 (d’où le titre de ce livre), on ajoute le fouet à la peine d’emprisonnement (p. 20). Pendant la période en question, les constables adoptent une approche de plus en plus proactive. À partir de 1905, la simple surveillance des lieux de drague se transforme en véritable politique de piégeage où des agents provocateurs – soit des policiers, soit des collaborateurs civils – participent aux activités sexuelles visées sans en subir les conséquences. Les archives judiciaires permettent à l’auteur de brosser le portrait sociodémographique des participants pris dans le filet ainsi que de cartographier leurs principaux lieux de rencontre. Si les hommes proviennent de milieux sociaux variés, la majorité est tout de même formée de jeunes travailleurs célibataires des quartiers populaires. Leurs emplois sont très divers, mais les journaliers et les commis arrivent en tête. Presque les deux tiers des arrestations concernent des Canadiens français, proportion légèrement supérieure à leur poids dans la population, mais en conformité avec le caractère populaire des inculpés. De même, on trouve beaucoup d’Irlandais catholiques parmi les anglophones. Les autres communautés culturelles sont peu représentées. La géographie des arrestations montre les débuts d’une première enclave homosexuelle dans le secteur du Red Light délimité par les rues Sherbrooke, De Bleury, Craig (Saint-Antoine) et Saint-Denis, et parsemé de bordels, cabarets, théâtres, cinémas et autres lieux de loisirs commerciaux. Un second pôle se constitue à l’ouest dès les années 1910, dans le nouveau centre-ville, autour du carré Dominion (square Dorchester) où apparaîtront les premiers bars gais dans les années 1920. Curieusement, ceux-ci n’ont laissé aucune trace dans les archives judiciaires. Au-delà de ces deux enclaves, les archives identifient d’autres points chauds, incluant le Mont-Royal, le carré Viger, le parc La Fontaine et les toilettes publiques, surtout celles de la gare Windsor, à proximité du carré Dominion. En ce qui concerne les pratiques, les archives révèlent l’importance des relations entre hommes (dont l’âge moyen est de 36 ans) et garçons de 12 à 17 ans. Majoritairement issus de milieux populaires, vivant dans ou près du secteur du Red Light, ceux-ci jouent un rôle sexuel « passif » face à leurs partenaires plus âgés. Si le système judiciaire, préoccupé …

Parties annexes