Ces deux livres parus aux Presses de l’Université Laval en 2020 abordent deux aspects de la présence française dans l’Empire britannique à la suite d’un changement de métropole. Celui de Jean-Paul Morel de la Durantaye porte sur les conséquences de la guerre de la Conquête sur la noblesse canadienne. Claude Couture et Srilata Ravi, de leur côté, présentent trois parcours de Français de colonies asiatiques et nord-américaines ayant basculé de l’empire français à l’Empire britannique. Bien que les situations soient un peu différentes, les trois auteurs étudient essentiellement le point de vue de membres des élites (la noblesse pour Morel de la Durantaye, la bourgeoisie et le clergé pour Couture et Ravi), et plus particulièrement des élites masculines. Dans son ouvrage publié à titre posthume, Jean-Paul Morel de la Durantaye examine les conséquences de la cession de la Nouvelle-France aux Britanniques, de la Conquête à l’Acte d’Union (1760-1840), par le biais du regard de la noblesse canadienne. Grâce à sa grande érudition, l’historien remet en question le préjugé historiographique qui a sous-tendu l’étude de ce groupe social sous le Régime britannique : que la Conquête serait le point de départ de son déclin. Bien que la recherche tende à évoluer depuis quelques années, la question de la noblesse canadienne après la fin de la Nouvelle-France reste un sujet peu étudié. Il s’agit d’un ouvrage érudit et multidimensionnel qui traite des conséquences économiques, politiques, sociales, démographiques et, dans une certaine mesure, genrées du changement de régime. C’est ce qui le rend particulièrement pertinent malgré certaines inexactitudes et des positions historiographiques datées. Sans être avant-gardiste, il s’agit d’un excellent livre de référence sur la question. Découpé chronologiquement, La noblesse canadienne sous le régime anglais suit les parcours de différents nobles canadiens après la Conquête des deux côtés de l’Atlantique et analyse les effets des « grands événements » qui secouent les deux empires : la guerre de Sept Ans, la révolution américaine, la Révolution française et, au Canada, les débuts du parlementarisme et les Rébellions patriotes. L’auteur utilise le prisme de l’événement pour démontrer que le déclin des nobles n’est pas directement lié à la Conquête mais qu’il intervient plus tard, en parallèle de l’avènement de la démocratie bourgeoise en Occident. Loin de disparaître, la noblesse dont parle Morel de la Durantaye participe à ces grands événements, particulièrement au Canada où elle influe sur l’évolution de la société canadienne du début du 19e siècle. L’historien insiste également sur l’identité profondément canadienne et noble de ce groupe social. Il ne s’agit pour lui ni d’une élite générique assimilable (et assimilée) à la bourgeoisie ni d’une « noblesse française en Canada », mais bien d’un groupe à part entière et distinct, aussi bien dans l’empire français que dans l’Empire britannique. À travers le cas de plusieurs hommes emblématiques de la noblesse canadienne de la fin du 18e siècle, l’auteur tente donc d’aborder l’ère des révolutions d’un point de vue inusité. Cependant, sa sympathie pour la noblesse canadienne apparaît peut-être un peu trop clairement dans cette étude qui penche parfois vers le récit hagiographique. Ce biais est renforcé par le choix des sources. L’auteur accorde une trop grande foi aux recherches d’historiens et de généalogistes du début du 20e siècle (on citera par exemple Aegidius Fauteux) et aux souvenirs romancés de Philippe Aubert de Gaspé, souvent sans confronter leurs propos aux sources de l’époque ou à une historiographie plus critique et plus récente. Malgré les relectures de Fernand Thibault et de Catherine Ferland (qui ont édité le manuscrit), ce choix de sources conduit à des propos factuellement erronés et stéréotypés. À lire …
Morel de la Durantaye, Jean-Paul. La noblesse canadienne sous le régime anglais. Le destin des familles nobles suite au démantèlement des territoires français en Amérique du Nord, 1760-1840. Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 260 p.Couture, Claude et Srilata Ravi. Britannicité. Essai sur la présence française dans l’Empire britannique au XIXe siècle. Québec, Presses de l’Université Laval, 2020, 318 p.[Notice]
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Marie Zissis
Université de Montréal et Sorbonne Université