Comptes rendus

Gagnon, Robert et Denis Goulet. La formation d’une élite. Les bourses d’études à l’étranger du gouvernement québécois (1920-1959). Montréal, Boréal, 2020, 544 p.[Notice]

  • Daniel Poitras

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  • Daniel Poitras
    Chercheur indépendant

Si les livres d’historiens se lisaient comme des contes, celui-ci pourrait bien se terminer par : « De retour de l’étranger, il entama une longue et fructueuse carrière et contribua à construire le Québec moderne. » Cette trame devenue classique sert de fil conducteur à Robert Gagnon et Denis Goulet, qui analysent les trajectoires scientifiques et professionnelles des boursiers du Québec ayant fréquenté des universités européennes et américaines de 1920 à 1959. Les auteurs sont sensibles aux itinéraires de formation mais aussi aux carrières des boursiers afin de mettre en lumière les impacts de leur séjour d’études sur le développement d’une sphère ou d’une autre de la société québécoise. Sans surprise, ils découvrent que plusieurs ont occupé des postes importants en politique, dans l’industrie, les arts, les médias et, bien entendu, à l’université. Les historiens ne cachent pas leur ambition : démontrer que ces boursiers, largement méconnus, ont été des « agents du changement au Québec » (p. 17). Cette thèse se déploie comme une chaise pliante tout au long du livre, qui met en scène les tribulations de la modernisation du Québec grâce à la contribution de ses élites. Gagnon et Goulet retracent pour la période 1920-1939 — caractérisée par le phénomène des « retours d’Europe » — les tractations diplomatiques qui ont mené, de Québec à Paris, à la création des bourses, et ils analysent les enjeux de leur attribution en fonction du statut social et des réseaux (ou encore du patronage) dont bénéficiaient les candidats au sein d’un système qui favorisait bien entendu la reproduction des élites — ou encore l’émergence d’élites mieux formées issues largement des classes privilégiées. La seconde période (années 1940 et 1950), caractérisée par les « retours d’Amérique », confirme l’influence du monde universitaire américain sur le développement du Québec, dont la proximité avec le nord des États-Unis se révèle un atout. Les auteurs utilisent leurs vastes connaissances institutionnelles pour ancrer les circulations en Europe et aux États-Unis dans les pratiques des institutions de savoir qui émergent alors. Ils démontrent avec moult exemples ce que la création de plusieurs disciplines, et encore plus la valorisation d’un certain éthos scientifique, doivent à ces boursiers et aux expériences, savoirs et réseaux qu’ils ont acquis à l’étranger et adaptés au Québec. En tout, c’est 1 069 bourses d’études à l’étranger qui seront décernées sur l’ensemble de la période. Un certain travail quantitatif sert d’armature à l’ouvrage afin d’illustrer les priorités des gouvernements. Ceux-ci privilégient les nouvelles disciplines émergentes, celles qui ont un besoin criant de spécialistes, à une époque où le jeune doctorant envoyé à l’étranger est assuré, à son retour, d’obtenir un poste de professeur. Sauf pour les disciplines artistiques, peu de femmes (18 %) obtiennent ces bourses. Les auteurs s’efforcent néanmoins de retracer leur parcours, souvent difficile d’accès compte tenu des itinéraires professionnels interrompus de plusieurs d’entre elles, à une époque où on décourageait les femmes de poursuivre une carrière. La forme de l’ouvrage, particulière, peut surprendre. Si de courtes parties introductives présentent les enjeux, les programmes de bourse et les conditions ou besoins propres à différents domaines, le gros de l’ouvrage est composé de portraits d’une à deux pages des boursiers et boursières, classés selon leur champ de spécialisation. Ce que le livre y gagne en valeur informative — pensons à l’immense travail de recherche, que l’on devine fort frustrant, effectué par les auteurs pour retrouver ces boursiers dans les archives —, il le perd toutefois en rythme et en analyse. En effet, on reste souvent sur sa faim. Le grenier est bien rempli, mais il faut se charger soi-même de la …