Comptes rendus

Létourneau, Jocelyn. La condition québécoise. Une histoire dépaysante. Québec, Septentrion, 2020, 317 p.[Notice]

  • Denyse Baillargeon

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  • Denyse Baillargeon
    Université de Montréal

Le dernier ouvrage de Jocelyn Létourneau est moins une synthèse classique qu’une tentative d’expliquer la trajectoire — on pourrait même dire la psyché — québécoise en survolant les événements et les phénomènes qui l’ont marquée, souvent sans trop entrer dans les détails, mais en s’attardant à des morceaux choisis. Pour autant, l’ouvrage demeure assez classique puisque les épisodes politiques et les transformations socioéconomiques demeurent au centre de la narration, l’objectif du livre étant de déboulonner l’interprétation convenue (lire nationaliste) de l’histoire du Québec, elle-même centrée sur ses principaux épisodes politiques perçus (selon l’auteur) comme autant de « tragédies ». Comme le laisse entendre le sous-titre, Létourneau se propose de revisiter ces événements en les examinant sous un angle inédit ; ceux et celles qui connaissent déjà bien ses travaux ne seront toutefois pas vraiment « dépaysés », ce livre constituant en quelque sorte la version la plus aboutie de son interprétation du passé québécois, sur laquelle il réfléchit depuis au moins trente ans. Les sept chapitres qui forment l’ouvrage offrent en effet une vision toute létournienne de l’évolution du Québec, depuis l’arrivée des Français jusqu’à l’aube de la pandémie de 2020. Cette évolution se caractériserait surtout par l’ambivalence, l’ambiguïté, les paradoxes, l’incertitude, l’indétermination ou l’indécision de sa population francophone (cette liste étant loin d’épuiser les multiples manières dont l’ouvrage nomme le phénomène), attitudes qui lui auraient permis de s’accrocher, de s’adapter, de se renouveler et de perdurer en dépit de l’adversité. Loin du « roman national » victimaire fait pour attiser les passions, Létourneau propose un récit sans fioritures, délesté des mythes, des épopées et des héros qui flattent l’imaginaire collectif, un récit qui, plutôt, souligne à gros traits les failles, les manques et le pragmatisme de la population québécoise d’ascendance canadienne-française, en même temps que ses atermoiements face à la question nationale. Ainsi, le premier chapitre, intitulé « Initialisation », qui s’attarde aux premiers contacts, insiste surtout sur la coexistence des Autochtones et des colons, sur leur « interdépendance contrainte » et leurs « proximités distantes » (p. 45), tout en s’attaquant au mythe du « bon sauvage » pacifique et écologique et à celui des origines autochtones des Canadiens français. Le deuxième chapitre, intitulé « Fondation ? » (notez le point d’interrogation), insiste sur les incertitudes des débuts de la colonie, sur ses difficultés de peuplement, sa faiblesse militaire et son étranglement économique par la métropole, sur l’absence d’une presse qui aurait favorisé l’émergence d’une « communauté imaginée », sur le caractère plutôt docile des colons, pour conclure à une indétermination de l’identité « canadienne » à l’époque de la Conquête. Dès lors, celle-ci apparaît davantage comme une « Bifurcation » (titre du chapitre 3) qu’une décapitation. Létourneau trace ici un portrait plutôt mesuré des conséquences du changement de régime, les Britanniques ayant été forcés par les circonstances et leur petit nombre à tempérer leurs velléités de domination des nouveaux conquis pendant que ces derniers, tout en cherchant à préserver leurs droits, ont pactisé avec les conquérants afin de tirer le meilleur parti de leur situation (notamment chez les élites). Ambiguïtés et paradoxes constitueraient donc les maîtres mots de cette époque où, ironie suprême, le parlementarisme britannique a permis l’éveil du « sujet collectif » canadien en lui donnant une voix pour mieux contester le pouvoir colonial. La culture politique duale des Canadiens, leur lucidité et leur parti-pris pour la modération feront cependant en sorte que peu d’entre eux voudront suivre les Patriotes sur les chemins de la révolution. L’épisode des Rébellions est ainsi fortement minimisé, les leaders apparaissant surtout comme des chefs qui auraient perdu le contrôle …