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Réunissant quelques-uns des sujets de prédilection de son auteur, bibliothécaire à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste de l’histoire du livre et de l’édition, ce livre propose un survol du monde de l’édition et du rôle joué par les Éditions Marabout au sein de la francophonie, entre autres au Québec. La passion de Jacques Hellemans pour le sujet qu’il étudie dans cette monographie de près de deux cents pages agrémentées de photographies de haute qualité est indéniable. Sept parties, suivies d’extraits de témoignages, font le tour du sujet à l’étude. Globalement, Hellemans étudie la naissance de la maison d’édition Marabout, fondée par André Gérard en 1949, ainsi que son ascension en tant que principal éditeur et vendeur de manuscrits originaux ou traduits au sein de la francophonie mais également à l’international, tout en portant une attention particulière à la collection des aventures de Bob Morane et à sa fulgurante popularisation au Québec. L’ouvrage ne propose pas de bilan historiographique, mais plutôt une description détaillée de la trajectoire de la maison, du choix du logo jusqu’au nombre d’exemplaires vendus en passant par les nombreuses et imposantes campagnes de marketing. Néanmoins, on a affaire à un usage efficace et réfléchi des archives issues de collections privées et publiques.

L’ouvrage est organisé en sections plus ou moins chronologiques : biographies, histoire économique, transnationalisme et histoire du livre. En première partie, Hellemans nous invite à remonter jusqu’aux 18e et 19e siècles pour assister à l’avènement du livre de poche, objet qui deviendra l’emblème de Marabout. La concurrence entre la Belgique, la France et l’Angleterre est longuement traitée. Rapidement, la première collection du fondateur de l’entreprise, André Gérard, se retrouve dans plusieurs librairies de Belgique. Cela s’explique par l’édition de plusieurs classiques de la littérature de longueur et de genres variés qui plaisent à un vaste lectorat. Les livres des collections Marabout sont de bonne qualité, quoique simples et peu coûteux. L’éditeur s’approprie des auteurs comme F. Scott Fitzgerald et Tolstoï tout en faisant découvrir des écrivains méconnus ; quelques femmes figurent même parmi les auteurs au coeur des campagnes de promotion de Marabout.

Il est ensuite question de Dimitri Kasan, l’homme derrière le succès nord-américain des collections Marabout. C’est par le biais d’une présentation biographique et de plusieurs autres passages sur le marketing et la censure que Hellemans atteint finalement le coeur de son sujet : le Québec. On apprend que Kasan s’est établi dans la capitale nationale pour y distribuer les premiers livres Marabout. Il a constaté le vide dans le marché littéraire québécois : face à la domination des compagnies anglophones, il se donne pour mission d’offrir aux francophones des livres durables, agréables et en français. Les pocket books américains sont remplacés par des présentoirs Marabout. La maison d’édition est recommandée par les enseignants et par les bibliothécaires, même si elle est victime de censure. Les années 1950 et 1960 sont dures en raison du contrôle exercé sur le contenu et les couvertures. N’empêche que Bob Morane prend d’assaut le Québec et devient la série et le personnage préférés de la province. Kasan manie le marketing avec autant d’aisance que Bob Morane les armes à feu. Il sait s’entourer de personnages charismatiques, que ce soient les organisateurs des salons du livre ou les idoles des jeunes lecteurs comme Jean Béliveau et Maurice Richard.

Malgré le fait que les thématiques s’enchaînent avec une fluidité digne d’un roman populaire, la structure unique de cet ouvrage laisse perplexe. L’introduction brille par son absence ; une préface remplie d’anecdotes signée par le créateur de Bob Morane lui-même en tient lieu. Aussi divertissantes soient-elles, ces anecdotes ne justifient pas l’approche peu orthodoxe choisie par l’auteur. Nous ne savons pas ce qui a amené Hellemans à se lancer dans l’analyse de l’impact socioéconomique de Bob Morane et des autres collections vendues par la compagnie. Ensuite, la progression semble lente pour la première moitié du livre, quoique le titre reflète bien l’importance accordée à chaque sujet. L’histoire de l’édition et du livre domine largement, tandis que les aventures de Bob Morane au Québec demeurent des personnages plutôt secondaires. Il faut attendre environ une centaine de pages avant que le Québec soit mentionné, ce qui nous laisse avec le désir d’en apprendre davantage. Là encore, lorsque l’accent est mis sur le lectorat québécois, le récit est entremêlé de sections très biographiques ponctuées d’anecdotes qui finissent par prendre trop de place par rapport au thème du livre. La méthodologie de l’auteur présente donc quelques lacunes.

C’est la riche iconographie qui fait la force de l’ouvrage. Les reproductions des couvertures de plusieurs romans publiés par Marabout et les photos issues de collections privées complètent merveilleusement le contenu écrit. L’auteur a pris soin d’ajouter quelques archives purement québécoises qui permettent d’illustrer les modifications apportées aux livres afin de les adapter au marché franco-canadien tout en prouvant la popularité des Marabout dans la province. Ces images rendent la lecture dynamique et permettent de prendre une pause des longues listes de titres populaires ou de personnes influentes dans le monde de l’édition francophone de l’époque. Grâce aux illustrations, nous revivons la surprenante rencontre entre l’éditeur Dimitri Kasan et le joueur de hockey Jean Béliveau dans les années 1960. Nous comprenons l’apport éducatif et créatif que représentent les Éditions Marabout auprès des adolescents de la Belgique, de la France et de la multitude de pays qui ont traduit leurs collections de romans. Surtout, nous prenons conscience du rôle essentiel que les libraires et les lecteurs québécois jouaient dans ce véritable réseau transnational de littérature de poche.