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Prix Lionel-Groulx (Édition 2020)
VIDAL, Cécile, Caribbean New Orleans. Empire, Race, and the Making of a Slave Society (Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2019), xviii-533 p.
Voici une réalisation extraordinaire, une monographie riche et dense qui témoigne d’une maîtrise phénoménale des archives et de l’historiographie sur le colonialisme franco-américain. Sous la plume de Cécile Vidal, le lecteur découvre une Nouvelle-Orléans socialement très complexe – en phase avec la « normalité » des villes-frontières du XVIIIe siècle. L’auteure reconstitue ce monde grouillant à partir des concepts à la fois de classe, de race et de genre ainsi que des statuts socioprofessionnels des groupes de diverses origines. Elle utilise des sources juridiques qui révèlent comment les gens se représentaient dans leurs relations et dans leurs choix intimes, domestiques et publics. Le lecteur pénètre ainsi au coeur d’une société magnifiquement révélée comme « intégrative, mais fondamentalement hiérarchisée » (p. 430). Vidal décrit notamment, avec des nuances fascinantes, la création et la signification de la société esclavagiste. Elle explore aussi les liens entre soldats et esclaves – qui s’enfuit avec qui, qui épouse qui, qui ne peut pas se marier – et met en relief un métissage ne reflétant pas tant l’ouverture raciale, que la fermeture et la domination. L’auteure rend enfin intelligible le désir universel d’embrasser le commerce. Tous ces points d’analyse, à la fois remarquablement intimes et si difficiles à cerner et à comprendre, permettent ici de mettre au jour à la fois de nouveaux faits et des identités sophistiquées et nuancées. Le portrait plus large de la Nouvelle-Orléans en tant que ville incrustée dans le monde des Caraïbes, caractérisée par la racialisation croissante des relations, du commerce, du travail et de la punition, constitue une avancée significative de notre compréhension de cet univers – et de ses dettes envers une certaine Amérique spécifiquement française.
Prix de l’Assemblée nationale (Édition 2020)
HAMON, Max, The Audacity of His Enterprise. Louis Riel and the Métis Nation That Canada Never Was, 1840-1875 (Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2020), 433 p.
Il n’est jamais aisé de revisiter un sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre. À ce titre, le pari endossé par Max Hamon contenait une part supplémentaire de risque, dans la mesure où le personnage de Louis Riel demeure encore aujourd’hui un objet polémique du récit historique canadien. Le résultat net est à la hauteur du pari : l’auteur livre une étude audacieuse et convaincante du parcours de Riel, qui lui permet de tracer un portrait novateur des tribulations politiques entourant la naissance de l’État canadien moderne. La réussite de Max Hamon s’explique d’abord par un tour de force historiographique : il dégage son personnage des ornières téléologiques du grand récit national, prenant le contrepied des producteurs de récits de toutes allégeances. À ceux qui réduisent Riel à un caillou dans la construction de l’État libéral, l’auteur rappelle qu’il est un acteur de premier plan de cette entreprise ; aux autres qui le posent en martyr ou comme dernier rempart contre la marche des « industriels financiers de l’Est », il répond qu’on ne peut limiter le personnage à un rebelle. Sa démonstration, qui s’appuie sur un assemblage de sources étendu, offre au premier chef de nouvelles perspectives sur l’environnement idéologique du milieu du XIXe siècle. Son récit met en relief les réseaux intellectuels qui ont construit Riel, en dépoussiérant notamment de manière surprenante l’époque de sa formation dans la région montréalaise. Le coeur de l’enquête permet de repousser les limites de la compréhension des enjeux identitaires et territoriaux touchant à la fois les portions ouest et est du Canada en devenir ; la définition des frontières elles-mêmes apparaît alors accessoire ou impertinente. L’analyse des replis de la pensée de Riel fait émerger d’autres conceptions du territoire et des groupes qui s’y entrechoquent et collaborent. De nouveaux espaces de possibles se dégagent. Le politicien remplace bientôt la figure du rebelle ; l’intellectuel prend le pas sur le Métis. Et le Canada, soudain, devient un projet inachevé, en friche, à penser… Et c’est à ce moment que l’auteur trace un trait tout aussi audacieux que le personnage qu’il ausculte : il freine son récit en 1875 – plutôt qu’au moment de sa pendaison en 1885 –, manière habile de bien marquer le changement de paradigme dans l’interprétation de l’astre Riel dans le ciel historiographique canadien. Le jury salue la volonté de l’auteur de renouveler la compréhension d’un épisode clé de l’histoire canadienne, et le soin méticuleux avec lequel il offre un nouveau cadre interprétatif pour son objet. Les propositions de l’ouvrage de Max Hamon sont innovantes en ce qu’elles font réfléchir à la définition et à la nature de lieux communs, d’espaces, d’institutions et de représentations qui structurent notre culture politique collective.
Prix Michel-Brunet (Édition 2020)
ST-PIERRE, Lysandre, La formation d’une culture élitaire dans une ville en essor : Joliette, 1860-1910 (Québec, Septentrion, 2018), 188 p.
Dans cette belle étude issue de son mémoire de maîtrise, Lysandre St-Pierre mobilise un éventail d’approches, de sources et d’échelles d’analyse pour tracer un portrait de la culture de l’élite de Joliette au tournant du XXe siècle – alors une petite ville en voie d’industrialisation. Le dépouillement systématique de la presse locale sur une cinquantaine d’années lui permet de cerner les activités et les rituels qui rythment la vie quotidienne ainsi que les normes, fortement genrées, qui orientent le comportement des hommes et des femmes de la notabilité petite-bourgeoise à diverses étapes de leur cycle de vie. Le recours aux archives de quelques familles locales étoffe ce portrait général et laisse entrevoir comment le discours normatif est accueilli. La correspondance privée nous plonge aussi dans l’intimité du couple et du foyer familial. L’échelle d’analyse se resserre alors davantage pour chercher à comprendre comment la maison contribue à la construction de la culture élitaire. L’examen minutieux du style architectural et de l’organisation spatiale d’une résidence bourgeoise, enrichi par le recours à la modélisation 3D, est d’une grande qualité, tout comme la tentative de reconstituer le décor et le mobilier. Cette étude de cas illustre bien la quête de distinction sociale qui est au coeur de la culture élitaire. Par son jeu d’échelles et, surtout, par la conjugaison des méthodologies de l’histoire, du patrimoine bâti et de l’ethnologie, Mme St-Pierre ouvre des pistes de recherche fort stimulantes pour l’histoire culturelle et pour l’histoire urbaine québécoise.
Prix de la Revue d’histoire de l’Amérique française (Édition 2020)
ST-ONGE, Nicole, « Le poste de La Pointe sur l’île Madeline, tremplin vers le monde franco-anichinabé de la traite des fourrures », Revue d’histoire de l’Amérique française, 73, 1-2 (été-automne 2019), p. 13-43
Dans un article remarquable par son originalité, sa rigueur et son élégance, Nicole St-Onge rend visibles les « paysages familiaux » qui structurent le monde franco-anichinabé de la traite des fourrures de la partie ouest des Grands Lacs pendant près d’un demi-siècle. Cette cartographie s’appuie sur les archives de l’état civil catholique et sur celles des principales compagnies exploitant le commerce des pelleteries dans le bassin versant du Saint-Laurent et des Grands Lacs, croisées avec une vaste base de données regroupant plus de 21 000 contrats d’engagements de voyageurs signés à Montréal. En prenant pour point d’observation privilégié le poste de La Pointe sur l’île Madeline au lac Supérieur, l’auteure trace le portrait de quatre familles fondées par des commerçants canadiens-français de la fourrure et met au jour les denses réseaux de parenté, réelle et symbolique, tissés par ces hommes et leurs épouses anichinabées sur plusieurs générations. La reconstitution de ces grappes familiales franco-anichinabées révèle leur forte mobilité géographique au sein de la grande région à l’étude, une mobilité qui témoigne à la fois de la participation des hommes à la traite et de l’ancrage territorial de la communauté anichinabée. Au terme de cette analyse étoffée, pourtant qualifiée de composante initiale d’un vaste projet de recherche, Mme St-Onge insiste sur la spécificité de la communauté étudiée et formule l’hypothèse que cette dernière n’est pas métisse de la même manière que la nation michief du bassin de la baie d’Hudson. Au contraire, cette population franco-anichinabée catholique de la fourrure appartiendrait à deux mondes, entretenant des relations pérennes avec leur parenté de la vallée laurentienne et fortement intégrée dans un réseau centré sur les Anichinabés des Grands Lacs. Une double appartenance qui sera ébranlée par la fin de l’économie de la fourrure centrée sur Montréal. Le jury félicite Mme St-Onge pour une étude d’une grande richesse et des hypothèses des plus stimulantes et novatrices.