Revue d’histoire de l’Amérique française
Volume 74, numéro 1-2, été–automne 2020 Bilan et perspectives en historiographie de l’Amérique française Sous la direction de Louise Bienvenue et Julien Goyette
Sommaire (11 articles)
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Présentation. L’histoire et son double
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Regards sur l’évolution de la RHAF depuis 1982
Julien Goyette, Louise Bienvenue et Nicolas Devaux
p. 11–45
RésuméFR :
Véhicule scientifique de premier plan, la Revue d’histoire de l’Amérique française constitue un indicateur privilégié de l’évolution de la discipline historique. Prolongeant les bilans antérieurs d’Harvey/Linteau (1972) et de Coupal (1983), cet article analyse la production de la Revue de 1982 à 2018. L’examen des 501 articles publiés et des 423 auteur.e.s révèle une transition tranquille entre l’histoire sociale et l’histoire culturelle ainsi qu’une présence accrue des femmes parmi les collaborateur.trice.s. Le Québec contemporain demeure sans conteste le terrain privilégié d’investigation des chercheur.e.s. Enfin, la place ténue accordée à l’histoire des Autochtones représente assurément le résultat le plus interpellant de cette étude.
EN :
As a leading scientific publication, the Revue d’histoire de l’Amérique française is a telling indicator of the evolution of the historical discipline. Extending the previous assessments of Harvey & Linteau (1972) and Coupal (1983), this article analyzes the Revue’s production between 1982 and 2018. An examination of the 501 published articles and the 423 authors reveals a smooth transition from social history and cultural history, as well as an increased presence of women among collaborators. Contemporary Quebec undoubtedly remains the privileged field of investigation for researchers. Finally, the tenuous place of the Indigenous people’s history certainly represents the most challenging finding of this study.
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Entre l’historiographie de combat et le combat de l’historiographie : formes et fonctions du discours sur le passé de la discipline historique au Québec
Patrick Noël
p. 47–72
RésuméFR :
Se référant à la catégorisation idéal-typique canonique de Georges Stocking, la réflexion théorique distingue généralement deux types d’histoire des disciplines. D’un côté, le « présentisme » appréhende le passé de la discipline pour qu’il soit utile au présent. De l’autre côté, « l’historicisme » appréhende le passé en vue d’en produire une connaissance scientifique. Cette catégorisation rend-elle compte de la nature de l’appréhension du passé disciplinaire de la discipline historique même, dont les praticiens sont précisément formés à historiciser ? Nous soutenons que l’histoire de l’histoire au Québec est en tension entre une historiographie de combat présentiste et un combat pour une historiographie historiciste. Au final, le passé de l’histoire est à la fois et inséparablement un enjeu disciplinaire et un chantier de recherche.
EN :
Referring to Georges Stocking’s canonical ideal-typical categorization, theoretical reflection generally distinguishes two types of history of disciplines. On the one hand, « presentism » apprehends the past of the discipline so that it is useful in the present On the other hand, « historicism » apprehends the past in order to produce scientific knowledge of it. Does this categorization account for the nature of the apprehension of the disciplinary past of the historical discipline itself whose practitioners are specifically trained to historicize ? We maintain that the history of history in Quebec is in tension between a presentist combative historiography and a combat for a historicist historiography. In the end, the past of history is both and inseparably a disciplinary issue and a research object.
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Un nouveau « moment historiographique » pour le Québec ? Essai d’interprétation
Daniel Poitras et François-Olivier Dorais
p. 73–102
RésuméFR :
On constate depuis quelques années une multiplication des études interrogeant à nouveaux frais la généalogie du savoir historique au Québec et ses conditions d’élaboration. Ce constat est à faire au vu, notamment, de la production d’un nombre assez significatif de maîtrises, de doctorats et de projets de recherche qui ont contribué à faire de l’historiographie un champ d’investigation renouvelé, mais aussi plus autonome et diversifié. Ces travaux ouvrent sur de nouveaux chantiers allant de l’épistémologie et de l’histoire intellectuelle aux rapports histoire-mémoire et à l’histoire des femmes en passant par l’analyse des manuels scolaires ou encore le traitement historiographique d’objets spécifiques. C’est dire que vingt ans après les nombreux débats sur le « révisionnisme » déclenchés par Ronald Rudin, le Québec vivrait quelque chose comme un nouveau « moment historiographique » dont les contours, encore difficiles à définir, gagnent à être précisés et explicités. L’objectif de cet article est de proposer un premier état des lieux de ce nouveau moment à partir de l’analyse d’un corpus de nouvelles études historiographiques parues au cours des treize dernières années. Il pose aussi, en filigrane, la question de l’autonomie relative d’un « champ » historiographique québécois en construction.
EN :
In the past few years, there has been a proliferation of studies questioning in a new way the genealogy of historical knowledge in Quebec and its conditions of elaboration. This observation is to be made in view, notably, of the production of a fairly significant number of Master’s degrees, PhDs and research projects which have contributed to making historiography a renewed and more autonomous and diversified field of investigation. These researches open up new working areas ranging from epistemology and intellectual history to history-memory relationships and the history of women, and to the analysis of school textbooks or the historiographical treatment of specific objects. That is to say that twenty years after the numerous debates on « revisionism » triggered by Ronald Rudin, Quebec would experience something like a new « historiographical moment » whose outlines, still difficult to define, would benefit from being clarified and made explicit. This article aims to offer a first inventory of this new moment by analysing a body of new historiographical studies published over the past thirteen years. It also raises, impliciitely, the question of the relative autonomy of a Quebec historiographical « field » under construction.
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La pluralité des expériences historiques dans le passé du Québec et du Canada : points de vue des historiennes et historiens universitaires
Sabrina Moisan, Jean-Philippe Warren, Paul Zanazanian, Sivane Hirsch et Aude Maltais-Landry
p. 103–127
RésuméFR :
Alors que les repères usuels de l’historiographie « nationale » se trouvent mis à mal par les travaux postcoloniaux, antiracistes et autres histoires alternatives, cet article propose d’éclairer l’état de la situation au Québec en posant la question suivante : comment la communauté historienne québécoise considère-t-elle l’écriture d’une histoire du Québec et du Canada plurielle et plurivoque ? L’article présente les résultats d’une enquête qualitative menée auprès de 22 historiens et historiennes du Québec. Les résultats montrent une communauté historienne qui, tout en étant sensible aux enjeux de la diversité, pose certaines conditions à l’intégration de ces perspectives. Au terme de l’analyse, force est d’admettre que deux sous-groupes se distinguent au sein de la communauté historienne québécoise. Le premier sous-groupe se dit attaché au récit national canadien-français ou québécois ainsi qu’à la trame politique traditionnelle ou à une version modifiée de celle-ci. Le deuxième sous-groupe est, au contraire, enclin à faire éclater les cadres nationaux pour mieux embrasser les multiples trajectoires des populations composant les sociétés québécoises et canadiennes. Le débat entre les deux sous-groupes n’est, à l’évidence, pas terminé, et son analyse permet par conséquent de mieux mesurer les défis auxquels est confrontée l’écriture contemporaine de l’histoire du Québec et du Canada.
EN :
At a time when the benchmarks of a “national” historiography are being undermined by post-colonial, anti-racist, and alternative histories, this article proposes to shed light on the state of affairs in Quebec by asking the question : how does the Quebec historical community view the writing of a pluralist and plurivocal history of Quebec and Canada ? To answer this question, this article presents the results of a qualitative survey of 22 Quebec historians. The results show a historical community that, while sensitive to the issue of diversity, sets certain conditions for the integration of these perspectives. Methodological parameters (rigour and access to sources) and epistemological parameters (sense of history and reference paradigms) are stated by participants as support for their critical posture. Two subgroups stand out within the community of Quebec historians. The first sub-group seems attached to the French-Canadian or Quebecois national narrative and to the traditional political framework or a modified version of it. The second sub-group is, on the contrary, inclined to break up national frameworks to better embrace the multiple trajectories of the population that make up Quebec and Canadian societies. Its analysis enables a better appreciation of the challenges facing the contemporary writing of the history of Quebec and Canada.
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Plus ça change... Continuités et discontinuités dans la représentation de l’histoire autochtone dans les manuels scolaires québécois, des années 1980 à nos jours
Helga Elisabeth Bories-Sawala
p. 129–154
RésuméFR :
La présente contribution propose un regard sur l’évolution de la représentation de l’histoire autochtone dans les différents programmes d’histoire nationale au Québec et dans les manuels scolaires depuis les années 1980 jusqu’à nos jours. Deux périodes servent d’exemples. Quel est le poids du culturalisme et de l’eurocentrisme dans la perception des sociétés précolombiennes ? Comment les manuels tiennent-ils compte de l’exigence de parler des pensionnats autochtones au Canada et au Québec, à la suite des conclusions de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) ? Quelles sont les marges de liberté à propos de l’agentivité autochtone et l’équilibre entre empathie et pensée historique ?
EN :
This paper studies the evolution of how indigenous history is represented by the different education programmes on national history in Québec and textbooks since the 1980s until today. Two specific periods are chosen as examples to examine the following questions. What is the impact of culturalism and eurocentrism on the perception of pre-Columbian societies ? How do textbooks deal with the requirement to talk about Indian residential schools in Canada and Québec, following the conclusions of the Truth and Reconciliation Commission ? How much flexibility is allowed on the topic of indigenous agentivity and the balance between empathy and historical thinking ?
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Pour une histoire environnementale « connectée » de la Nouvelle-France
Benjamin Furst
p. 155–183
RésuméFR :
Alors que l’histoire environnementale est en plein essor, son application à l’espace-temps de la Nouvelle-France reste rare en dépit de travaux susceptibles de nourrir ce champ. Cet article dresse le bilan des travaux déjà produits sur la période, insérés dans des études diachroniques plus larges ou portant plus précisément sur l’Amérique française et les espaces qui la composent, et dont le récit concerne souvent la confrontation entre les Européens et l’environnement américain et les modalités d’adaptations qui en résultent. Ce récit pourrait être précisé et nuancé en connectant la Nouvelle-France à d’autres espaces : américains, atlantiques ou français. Surtout, une approche environnementale de l’espace français en Amérique permettrait de redéfinir un certain nombre de cadres méthodologiques, spatiaux et chronologiques de l’historiographie coloniale.
EN :
Although environmental history is undeniably a booming and growing branch of the field, it is still seldom applied to New France, even if some research exists that could contribute to it. This article aims at reviewing the works already released concerning the period, either incorporated in wide, diachronic studies or focusing on French America and the spaces composing it. The accounts on the latter often deal with the various ways in which Europeans worked with and adapted to the American environment. This narrative could be fleshed out and made more nuanced by connecting the environmental history of New France to other American, Atlantic or French spaces. Last but not least, the environmental approach is a way to challenge the traditional narratives of colonial history through specific methodologies and new disciplinary, geographical, and chronological boundaries.
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L’histoire seigneuriale laurentienne : à propos de tendances récentes de la recherche
Olivier Guimond
p. 185–213
RésuméFR :
L’histoire seigneuriale québécoise connaît un certain engouement depuis le début du XXIe siècle. Cet article vise à présenter les développements récents de la recherche – notamment sur l’administration seigneuriale au féminin, les Autochtones dans le régime seigneurial, les persistances et les mémoires du régime seigneurial – et à faire ressortir quelques-unes de ses nouveautés. Le propos sera également axé sur un double enjeu lié à la complexification de notre compréhension de l’univers seigneurial et à la question de sa singularité, en revenant notamment sur un débat récent concernant la nature du « système » seigneurial laurentien. Une réflexion conclusive portera sur deux avenues de recherches possibles pour l’avenir en histoire seigneuriale : celles de la modernité non radicale et de la féodalité tardive.
EN :
Quebec seigniorial history is experiencing a regain in interest since the beginning of the 21st century. This article aims to present recent developments in research – notably on seigniorial administration by women, First Nations in the seigniorial regime, the persistence and memories of the seigniorial regime. This commentary will also focus on a double issue related to the increasing complexity of our understanding of the seigniorial universe and the question of its singularity, including a review of the recent debate on the nature of the seigniorial « system ». A final thought, in conclusion, will focus on two possible avenues of research for the future in seigniorial history : those of non-radical modernity and late feudalism.
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Écrire l’histoire de l’indépendantisme québécois
Jean-Philippe Carlos
p. 215–240
RésuméFR :
Cet article propose de jeter un premier regard synthétique sur les tendances historiographiques et interprétatives qu’ont mises de l’avant les praticiens ayant oeuvré à l’historicisation du mouvement indépendantiste contemporain, de la fin des années 1960 aux premières décennies des années 2000. L’auteur met en lumière la manière dont les spécialistes ont interprété le déploiement de l’idée indépendantiste dans le contexte de la modernisation culturelle et socioéconomique de la société québécoise, mais aussi les approches méthodologiques privilégiées ayant servi à étudier les principaux regroupements indépendantistes du cycle politique 1945-1995.
EN :
This article proposes to take a first synthetic look at the historiographical and interpretative trends that have been put forward by practitioners who worked to historicise the contemporary independence movement, from the late 1960s to the first decades of the 2000s. The author highlights how scholars have interpreted the deployment of the independence idea in the context of the cultural and socio-economic modernisation of Quebec society, but also the methodological approaches favoured to study the main independence groups.
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Débats. Un sous-champ historique sur la défensive : une réflexion sur la pertinence de l’histoire intellectuelle dans l’historiographie québécoise
Maxime Raymond-Dufour
p. 241–266
RésuméFR :
Cet article livre une réflexion sur la pertinence de l’histoire intellectuelle. Attaqués par certains défenseurs d’une histoire sociale de bas en haut, les historiens de l’intellectuel cherchent souvent à se justifier de leur sujet en exagérant les travers de leur sous-champ et en essayant de s’en distancier. Pourtant, la pratique montre que l’histoire intellectuelle est un champ ouvert, aux portées méthodologiques et théoriques larges, qui ne souffre pas d’une définition réductrice. L’histoire intellectuelle peut aisément se présenter comme complémentaire à une histoire des classes sociales, qui ne peut vraiment cacher sa dépendance aux abstractions, aux idées et aux idéologies. En réponse à une historiographie québécoise qui a considéré certaines catégories d’intellectuels suspectes, cet article propose plutôt de les étudier comme partie prenante à la société, notamment en portant un autre regard sur la formation et la culture offertes par les collèges classiques.
EN :
This article reflects on the relevance of intellectual history. Attacked by some defenders of a social history from the bottom up, intellectual historians often seek to justify their subject by exaggerating the shortcomings of their subfield and trying to distance themselves from it. However, practice shows that intellectual history is an open field with broad methodological and theoretical implications that does not suffer from a reductive definition. Intellectual history can easily be presented as complementary to social history, which cannot really hide its dependence on abstractions, ideas and ideologies. In response to a Quebec historiography that has considered suspect certain categories of intellectuals, this article rather suggests studying them as an integral part of society, using as a case study a renewed analysis of the training and culture dispensed in classical colleges.
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Prix de l’Institut d’histoire de l’Amérique française