Corps de l’article
En grande expansion dans la première moitié du XXe siècle, les communautés religieuses féminines ont instruit de nombreuses générations québécoises. Dans Les Soeurs de la Charité de Saint-Louis en Amérique, 1902-2018, Émilie Guilbeault-Cayer, consultante en histoire depuis de nombreuses années, s’intéresse à l’une de ces communautés. Le livre retrace son histoire, de l’arrivée des premières religieuses de cet ordre au Québec en 1902, aux bouleversements vécus à partir de 1964 à la suite du concile Vatican II, qui se répercutent sur le développement des Soeurs de la Charité de Saint-Louis jusqu’à aujourd’hui.
L’ouvrage est composé de trois parties. L’introduction expose efficacement la fondation des Soeurs de la Charité de Saint-Louis en 1803 à Vannes en Bretagne et le contexte anticlérical de la Troisième République française suscitant l’exil de communautés religieuses enseignantes. La première partie du livre retrace l’arrivée de celles-ci et leur implantation dans la région de Québec. En octobre 1902, à la demande du curé de Sainte-Adélaïde de Pabos, en Gaspésie, deux jeunes religieuses quittent la France pour aller enseigner dans la petite école de ce village. Même si on observe une certaine saturation des effectifs dans le domaine de l’enseignement au Québec, une vingtaine de congrégations religieuses enseignantes françaises sont accueillies entre 1900 et 1914. Les autorités ecclésiastiques québécoises sont empathiques face aux difficultés politiques que vivent les congrégations religieuses françaises. Pourtant, alors que des religieuses viennent grossir les rangs des Soeurs de la Charité de Saint-Louis au Québec, la communauté cherche encore un endroit où s’implanter durablement. Elles sont enfin accueillies dans le diocèse de Québec en 1903 par Louis-Nazaire Bégin, archevêque de Québec, qu’on dit « sensible à leur détresse » (p. 71).
La seconde partie du livre, organisée en quatre chapitres, porte sur l’expansion de la communauté au Québec, dans l’Ouest canadien et aux États-Unis ainsi que sur le développement d’institutions d’éducation ou d’assistance entre 1903 et 1964. Dans le troisième chapitre, Guilbeault-Cayer expose de manière chronologique le développement du réseau d’institutions des Soeurs de la Charité de Saint-Louis en Amérique. Ce faisant, elle évoque brièvement le fonctionnement du système d’éducation confessionnel public du Québec, dans lequel les commissions scolaires ont souvent recours aux communautés religieuses féminines, puisqu’elles sont moins coûteuses que les enseignantes laïques. Le chapitre fait aussi état du développement parallèle des écoles privées avec la fondation de pensionnats pour les filles de familles plus aisées, qui servent aussi au financement des écoles publiques tenues par la même congrégation religieuse. Comme plusieurs autres, les Soeurs de la Charité de Saint-Louis suivent les mouvements migratoires canadiens-français au début du XXe siècle. Elles vont donc développer des institutions d’enseignement et d’autres oeuvres sociales dans les communautés francophones aux États-Unis et dans l’Ouest canadien. Émilie Guilbeault-Cayer montre bien la transposition des structures sociales qui s’appuient sur l’implication des religieuses dans le contexte de l’industrialisation de la Nouvelle-Angleterre qui attire des ouvriers de tous horizons. On pourrait toutefois espérer une analyse plus approfondie des raisons qui poussent les autorités ecclésiastiques à suivre cette émigration par peur que la « spécificité canadienne-française » soit perdue dans ce contexte de bouillonnement culturel et ethnique.
Après ce tour d’horizon chronologique, Émilie Guilbeault-Cayer explore trois thématiques qui permettent de saisir l’implication des Soeurs de la Charité de Saint-Louis dans les communautés qu’elles desservent. D’abord, elle évoque une particularité de l’implication de la congrégation : l’enseignement dans les écoles de rang. Son analyse met en valeur l’esprit de « sacrifice et de dévouement » (p. 123) qui transparaît dans les archives de la communauté religieuse qui a dû faire face à des conditions de vie difficiles en raison des bas salaires, de l’isolement et du climat rigoureux. L’auteure enchaîne avec le développement du réseau d’éducation des Soeurs de la Charité de Saint-Louis, influencé par les politiques adoptées au cours de la première moitié du siècle, dont l’obligation de la fréquentation scolaire jusqu’à l’âge de 14 ans imposée par le gouvernement libéral d’Adélard Godbout en 1943. Entre autres, la communauté doit s’adapter à l’augmentation du nombre d’élèves au niveau primaire. Cette partie se termine par un chapitre sur les structures de recrutement de la communauté religieuse qui se fait de plus en plus dans les communautés où elles sont implantées.
La troisième et dernière partie du livre, composée de trois chapitres, retrace l’histoire plus récente des Soeurs de la Charité de Saint-Louis entre 1964 et 1980. Le septième chapitre traite précisément des bouleversements causés par le déclin de la pratique religieuse au Québec et la tenue du concile Vatican II pour les communautés religieuses féminines dans les années 1960. Les Soeurs de la Charité de Saint-Louis sont fortement touchées par la refonte du système scolaire québécois qui se laïcisera progressivement après la tenue de la Commission Parent (1961-1966). C’est aussi une période de mouvements dans les effectifs de la communauté, alors que plusieurs religieuses la quittent et que le recrutement est en baisse constante. Ainsi, les deux autres chapitres de cette section exposent les champs dans lesquels les Soeurs de la Charité de Saint-Louis se sont investies en réaction à leur évacuation du système d’éducation : les missions à l’étranger et les oeuvres sociales au Québec. En effet, bien qu’elles aient développé une mission en Haïti dès 1945, elles s’implantent de plus en plus durablement à l’étranger : au Pérou, en Haïti, en Martinique, au Mexique, au Mali et au Sénégal. Au Québec, dans les mêmes années, les Soeurs de la Charité de Saint-Louis s’impliquent dans diverses oeuvres sociales, comme la pastorale, le soin de personnes âgées et l’assistance aux femmes dans le besoin.
En plus des nombreuses photographies qui ponctuent le texte, à la fin du livre, une série de tableaux nous aident heureusement à retrouver chacune des institutions prises en charge par les Soeurs de la Charité de Saint-Louis, leur fonction et leur année de fondation. Construit de façon très linéaire et chronologique, le livre demeure fort instructif et répond à un objectif important : insérer dans la pérennité cette communauté religieuse fortement impliquée dans le domaine de l’éducation, alors que les religieuses, autrefois omniprésentes dans nos sociétés, sont de moins en moins nombreuses et visibles aujourd’hui.