Comptes rendus

St-Pierre, Lysandre, La formation d’une culture élitaire dans une ville en essor. Joliette 1860-1910 (Québec, Septentrion, 2018), 196 p.[Notice]

  • Jean-René Thuot

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  • Jean-René Thuot
    Département des lettres et humanités, Université du Québec à Rimouski

Les réflexions sur l’identité et la formation des élites en territoire canadien foisonnent depuis le tournant des années 2000, comme en témoigne le nombre important de mémoires et de thèses publiées sur le sujet. La monographie de Lysandre St-Pierre, tiré de son mémoire de maîtrise terminé en 2016, ajoute une pierre à cet édifice. L’auteure y propose un examen du processus de construction de la culture élitaire au sein d’une petite ville régionale (Joliette), réalisé à partir d’une perspective franchement socioculturelle – en phase avec les récents développements de l’historiographie dans ce champ. La démarche s’articule autour de trois objectifs : mesurer l’impact de la sociabilité dans la construction de l’identité élitaire joliettaine, étudier les rapports de genre qui sous-tendent cette même sociabilité et enfin observer le rôle de la culture matérielle dans l’affirmation de cette identité (p. 14-15). L’analyse, qui s’appuie en grande partie sur des fonds de correspondance privée et un dépouillement systématique des hebdomadaires régionaux, s’effectue en prenant à témoin « l’évolution de la vie d’un couple de l’élite à Joliette entre 1860 et 1910 » (p. 22). L’ouvrage, composé de quatre chapitres, reprend à quelques détails près la structure du mémoire. Le premier chapitre rend compte des différents lieux de rencontre entre jeunes gens, et dans le prolongement des premières fréquentations, de la formation du nouveau couple. Si l’idée est en soi intéressante, elle aurait bénéficié d’une mise en contexte plus approfondie du milieu joliettain, notamment en situant la ville à l’étude par rapport à d’autres agglomérations de taille semblable, en brossant sommairement l’évolution de sa structure démographique (à l’aide de recensements nominatifs par exemple), et enfin en présentant les principaux groupes familiaux interpellés par l’analyse – en marge des Tellier et des Baby, dont les correspondances sont au coeur de l’analyse. En dépit de ces lacunes, l’auteure parvient à décrire de manière vivante et juste les rituels qui rythment la vie sociale de l’époque, qu’ils soient attachés au calendrier religieux ou non. Des fêtes chrétiennes aux soirées dansantes, en passant par la visite du bazar, l’auteure nous introduit à l’éventail des situations qui s’offrent aux jeunes gens pour des rencontres. Le dépouillement des journaux locaux donne une belle profondeur à cette trame et l’analyse des correspondances des familles Tellier et Baby permet à l’auteure de mettre en évidence l’instrumentalisation de ces pratiques rituelles par les élites locales. Le parcours du couple-modèle – personnifié en fait par différents couples – se poursuit au second chapitre avec la vie maritale. L’apport des journaux locaux apparaît ici névralgique, dans la mesure où ces derniers représentent un des principaux leviers de la construction d’une culture de référence pour les élites. Pour St-Pierre, ces journaux relaient et « propagent des images stéréotypées, semblables à celles présentées dans les guides moraux et manuels de politesse diffusés à travers le Québec » (p. 64). De la figure d’autorité du père à l’éducation des enfants, ces manuels construisent des modèles qui trouvent un certain écho dans les représentations joliettaines. Le récit sur le rituel des cadeaux de mariage offre de belles pistes d’analyse sur la distinction et la formation du lien social des cercles de privilégiés. Mettant à contribution une approche ethnologique, l’auteure fait découvrir au lecteur tout un pan de la culture matérielle qui supporte les rituels élitaires. Cet intérêt pour l’univers matériel des élites occupe un espace encore plus grand dans le chapitre suivant, consacré à l’étude d’une maison construite pour le notable Joseph-Adolphe Renaud. Mobilisant les théories de l’architecte Thomas Markus sur les relations à l’espace, l’auteure présente la richesse du mobilier de la famille Renaud ainsi que les codes …