La définition du territoire de l’Ouest étatsunien a changé au fil du temps, à la mesure de la marche du peuplement d’origine européenne, de la marginalisation des nations amérindiennes et de la délimitation de la frontière entre les États-Unis et le Canada. C’est aussi un espace mémoriel, voire mythique, aux États-Unis et ailleurs. De l’énonciation, en 1893, de la thèse de la frontière par Frederick Jackson Turner, qui faisait de la disponibilité de terres toujours plus à l’ouest le moteur de l’histoire des États-Unis, aux travaux récents sur les borderlands et le middle ground, en passant par la Nouvelle Histoire de l’Ouest, les chercheurs ont contribué à la construction mémorielle de la région en proposant des schémas explicatifs qui reflétaient à la fois les époques où ils écrivaient et des courants historiographiques plus larges. Ainsi, les disciples de Turner firent paraître des centaines de livres et d’articles qui décrivaient la marche vers l’ouest de l’Homo Americanus, être profondément individualiste et démocrate, même si des critiques de la conception turnérienne apparaissaient à mesure que progressait le XXe siècle. Il fallut cependant attendre les années 1980 pour que la thèse de la frontière soit écartée sous les assauts répétés des praticiens de la Nouvelle Histoire de l’Ouest. Celle-ci produisit un foisonnement d’études qui éclairèrent d’une lumière nouvelle des événements et des processus observés depuis longtemps, tout en faisant ressortir le rôle de groupes jusqu’alors quasi oubliés, comme les femmes, les Amérindiens, les Hispaniques, les Noirs et les immigrants. Soazig Villerbu a bien décrit ce courant historiographique : Cette approchée éclatée de l’histoire de l’Ouest a fait place dans les deux dernières décennies à des essais de recentrage autour des notions de borderlands et de middle ground. Ces derniers développements ont fait l’objet d’une synthèse stimulante de l’historienne Anne Hyde au début des années 2010. L’étude des francophones de l’Ouest américain, c’est-à-dire des Français, des Canadiens français et des Métis, a connu une évolution similaire, particulièrement pour la deuxième moitié du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe. Dans la conception turnérienne, les francophones avaient joué un rôle important dans la phase de colonisation associée au commerce des fourrures, mais ils furent rapidement remplacés par des colons américains beaucoup plus dynamiques. Comme l’écrit Gilles Havard, C’est que leur présence réelle et mémorielle contrevenait à l’idée de la Destinée manifeste, les pionniers audacieux ne pouvant qu’être anglophones. Heureusement, cette conception a été presque complètement abandonnée. Elle a été remplacée par les notions stimulantes de middle ground, de corridor créole, de French river world et de frontière bourgeoise. En effet, la publication, en 1991, du Middle Ground de White marque le début d’une révolution historiographique. Pour ce praticien de la Nouvelle Histoire de l’Ouest, les vastes territoires de l’intérieur du continent constituaient un lieu d’échanges, où cohabitaient tant bien que mal Français et Autochtones. Les deux groupes ne partageaient pas la même vision de l’espace physique et spirituel, mais ils étaient reliés dans diverses sphères. Dans cette foulée, l’essor de la recherche a été tel qu’on a découvert ou redécouvert l’existence d’un corridor créole, recouvrant grosso modo l’espace compris entre les Grands Lacs et le golfe du Mexique. Selon Soazig Villerbu, ce territoire, perdu par la France en 1763, passé dans les mains britanniques et espagnoles avant d’être unifié au sein des États-Unis en 1803, était caractérisé par trois traits majeurs : le constant renouvellement d’une population francophone aux origines variées mais peu à peu minorisée ; une profonde connexion au système atlantique depuis le coeur du continent nord-américain ; un processus d’américanisation qui transformait …
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Yves Frenette
Université de Saint-BonifaceMarie-Ève Harton
Université du Québec à Trois-Rivières