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Dans les remerciements, l’auteure explique que si le livre est une commande à l’occasion de l’anniversaire du Conseil des arts, on lui a laissé toute latitude en ce qui concerne le contenu et qu’elle s’est assurée dès le départ de sa liberté académique. Il n’empêche, dès les premières pages, que l’impression s’installe de lire un rapport annuel, car le livre s’ouvre avec la présentation, longue et très élogieuse, des locaux du Conseil. Ce sentiment ne nous quitte jamais totalement, dans la mesure où le livre est – notamment – un plaidoyer pour établir la pertinence, voire la nécessité de ce Conseil. L’effet « rapport annuel » est renforcé par la présentation, au fil des chapitres, des présidents et directeurs successifs : tout le monde qui travaille ou a travaillé au Conseil est vraiment formidable ; par exemple, « Karen Kain [présidente du Conseil 2004-2008] est l’incarnation de l’assurance gracieuse, de l’intelligence calme, de l’humilité élégante et de l’intention réfléchie » (p. 128). Qu’il s’agisse d’une commande explique par ailleurs pourquoi le livre a été si rapidement traduit en français, pourquoi il a été publié sur papier glacé et comporte un grand nombre de photographies d’oeuvres et de membres du personnel.
L’ouvrage est structuré autour de cinq tensions au coeur de l’existence du Conseil, « entre l’art pour l’art et la poursuite d’objectifs plus larges par le biais des arts ; entre la réponse aux besoins des artistes et ceux de la société canadienne ; entre les formes d’art établies et émergentes ; entre « leadership » et « followership » ; entre l’autonomie organisationnelle et la collaboration avec d’autres entités publiques » (p. 71).
La discussion autour de l’autonomie organisationnelle met en lumière l’originalité du Conseil des arts du Canada, qui profite d’héritages ou d’influences multiples. L’autonomie du Conseil par rapport au gouvernement est inspirée de la Grande-Bretagne ; cette autonomie s’est maintenue au fil des ans, non sans quelques difficultés comme Gattinger le montre bien. L’influence américaine se manifeste à travers les fonds de dotation privés, très présents dans les premières années, mais désormais réduits à une fraction minime du budget. De la France, le Conseil retient une conception large de l’art englobant toutes les manifestations de la culture ainsi que l’éducation. En effet, l’organisme devait administrer lors de sa fondation plusieurs subventions et bourses dont s’occupe désormais le CRSH. Cela dit, la conception de l’art n’a cessé d’évoluer et de s’élargir, et le Conseil s’est graduellement ouvert à de nouvelles disciplines artistiques, à l’interdisciplinarité, ainsi qu’aux arts des Premières Nations et « de la diversité culturelle ». Cet élargissement de la définition de l’art, et conséquemment de l’action du Conseil, n’est pas sans susciter des controverses mettant à mal son autonomie, ce dont le livre offre quelques exemples.
Le contexte social et politique dans lequel évolue le Conseil est tracé dans le chapitre 2, à travers ce qu’on pourrait qualifier de brève histoire du Canada. Le contexte institutionnel est pour sa part caractérisé par des débats de juridiction avec les provinces et notamment le Québec, alors que le ministère du Patrimoine empiète un peu sur les activités du Conseil, thèmes sur lesquels l’auteure aurait pu insister davantage. Le contexte culturel et artistique se profile pour sa part en filigrane, et si le Conseil s’est ouvert graduellement à l’interdisciplinarité, ce n’est pas par myopie lors de sa fondation ; la refonte récente des quelque 100 programmes en 6 uniquement reflète non pas une logique administrative mais des changements dans le monde artistique, qui font passer l’accent de « la démocratisation de la culture (l’accès) à la démocratie culturelle (la représentativité) » (p. 63).
Le livre contient plusieurs allusions à des controverses, mais on n’en sait pas beaucoup à leur sujet sinon qu’elles concernent la définition de l’art, son « excellence », ce qu’est un « artiste professionnel », ce qui distingue une oeuvre d’un objet artisanal. Ces débats et discussions se sont surtout manifestés à propos de l’art autochtone et celui de la « diversité culturelle » et concernent l’action du Conseil, au sein duquel ne semblent pas exister de conflits, même si le propos est très centré sur les personnes et si l’auteure s’appuie largement sur des entrevues et des discours prononcés par ses présidents ou directeurs. Ainsi, dans l’introduction du chapitre 2, l’auteure annonce qu’elle présentera « la manière dont les présidents successifs du Conseil ont interprété et opérationnalisé le mandat de l’organisation au fil des ans » (p. 44).
Si on apprend beaucoup de choses en lisant l’ouvrage, il demeure que ce que sont « les fondements de la culture », auxquels le titre renvoie, n’est pas précisé. Ce en quoi consiste « le pouvoir de l’art » (sous-titre du livre) n’est pas non plus défini, or cette expression est censée caractériser le virage récent au Conseil. L’auteure évoque « une vision élargie qui s’appuie sur le pouvoir de l’art dans le but d’améliorer et de contribuer à la politique publique, à la société et à l’économie, au sens large. Cela comprend une contribution au débat et au dialogue sur des grandes questions actuelles et le développement de liens plus étroits entre les arts et les domaines de politique publique apparentés (par exemple, la santé, l’éducation et la recherche, ou la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada) » (p. 18), et plus loin, on lit que « l’art peut favoriser la guérison, l’unité, l’apprentissage, la découverte, la paix, la réconciliation et d’autres impératifs politiques actuels » (p. 70-71). Tout cela est plus affirmé que montré et les mécanismes à l’oeuvre ne sont pas discutés.
Somme toute, le livre est loin d’être inintéressant, mais laisse un peu la lectrice sur sa faim.