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Cet essai comprend onze chapitres : neuf d’entre eux sont des textes préalablement publiés et deux sont des inédits. Tous gravitent autour de ce que l’auteur nomme « l’histoire du XIXe siècle canadien-français », qui correspond surtout à la période suivant l’échec des Rébellions de 1837 et 1838 et à l’adoption de l’Acte d’Union de 1840 – période que l’auteur associe, à la suite de bien d’autres, à la notion de survivance. Le principal apport de cet essai est de proposer une nouvelle façon de penser et de concevoir cette « survivance », comme thème et comme outil heuristique pour interpréter l’histoire du Canada français au lendemain de 1840.
Sans être à proprement parler un texte introductif ou de présentation dont on regrette l’absence – nous y reviendrons –, le premier chapitre dresse un intéressant état de la question des rébellions et de la période les ayant immédiatement suivies. Aussi, est-il le seul texte qui aborde un tant soit peu la question de la mémoire de cette période – nous y reviendrons. Les chapitres 2, 3 et 10 sont des textes que l’on pourrait qualifier d’historiographiques. Le chapitre 2 se propose d’enrichir l’analyse historiographique à l’aide de la notion de « sensibilité ». Bien au fait des thèses narrativistes en philosophie de l’histoire, qui ne sauraient cependant se réduire à celles de White ou de Ricoeur, Bédard soutient que l’historiographe ne saurait se contenter d’examiner les sources étudiées ou de relever les biais idéologiques des historiens. Elle doit aussi étudier « le langage des historiens, les mots qu’ils utilisent pour défendre une thèse » (p. 33), ce que Jacques Rancière et Philippe Carrard nomment la poétique du savoir historique. L’auteur illustre la pertinence de cette approche en examinant l’historiographie québécoise sur F.-X. Garneau et sur « la “génération” des années 1840 » (p. 39). Dans le chapitre 3, l’auteur nous montre comment il a mené, au cours de ses études doctorales, l’exercice de la « revue de l’historiographie » (p. 47) du moment réformiste. Au lieu de traquer les erreurs de ses prédécesseurs, Bédard a identifié « un fil conducteur » (p. 49) ou une « ambition commune » (p. 50) qui permettrait de rendre intelligible cette historiographie, à savoir une « quête de refondation » nationale, constitutionnelle ou socio-économique (p. 49). Ces trois récits de fondations ont en commun de verser dans une « téléologie moderniste » (p. 68) qui occulte « toutes les virtualités que recèle le passé » (p. 71) et toute sa « contingence » (p. 72).
Pour contourner les « pièges de la téléologie », Bédard voit trois pistes : découper l’histoire en moments, comparer ces moments et renouveler l’histoire du politique. Cette troisième piste est l’objet même du chapitre 10 de l’ouvrage. Dans ce chapitre, Bédard constate un « retour du politique » (p. 195) dans l’historiographie du XIXe siècle québécois à travers une analyse de trois ouvrages : M. Bellavance (2004), J.-M. Fecteau (2004) et L.-G. Harvey (2005). Le politique, conçu comme « ordre synthétique » (p. 197) selon l’expression de Rosanvallon, permet une « interprétation globale » (p. 196). Sur la base de ce constat, il soutient que la question du libéralisme demeure l’un des « débats fondamentaux » (p. 196) de l’historiographie québécoise. Puisque ce texte est paru pour la première fois en 2005, le lecteur est en droit de se demander quel chemin a parcouru l’histoire politique au Québec depuis. Le lecteur est tout autant en droit de craindre face à la valorisation du « point de vue théorique fort » et de « l’interprétation globale » (p. 220), le spectre de la philosophie de l’Histoire contre laquelle l’étude du passé s’est transformée en discipline historique au XIXe siècle.
Les chapitres 4 à 9 sont des textes historiques. Ils abordent divers thèmes et personnages de la seconde moitié du XIXe siècle : le conservatisme comme voie d’accès à la modernité (chap. 4), L.-H. La Fontaine et l’importance du droit pour le comprendre (chap. 5), J.-E. Cauchon et le projet de Confédération canadienne (chap. 6), le patriotisme propre au milieu des affaires montréalais de la fin du XIXe siècle (chap. 7, inédit), Philippe Aubert de Gaspé comme figure « antimoderne » (A. Compagnon) (chap. 8), le « refoulement du moi » (p. 192) dans les écrits d’O. Crémazie (chap. 9).
Le collage de publications antérieures, qui occupe une place de plus en plus importante dans l’espace des publications savantes historiennes, a certes son utilité : il permet d’avoir à portée de main les textes d’un auteur qui ont été publiés à différents moments et dans différents lieux. Aussi peut-il permettre à l’historiographe de retrouver chez un historien des thèmes récurrents ou encore un style. La réussite du collage dépend en bonne partie de la qualité de l’agencement des textes par l’auteur. Bédard a assez bien agencé ses textes, même si nous aurions apprécié un texte de présentation par lequel il aurait refait l’unité d’ensemble des chapitres et présenté une problématique ou une préoccupation centrale en fonction de laquelle s’arriment tous les textes rassemblés. Il faut dire, à la décharge de l’auteur, que son « épilogue » vient en partie combler cette lacune. C’est dans celui-ci, que nous considérons comme le texte le plus important et actuel de l’ouvrage, que Bédard nous propose un « essai de conceptualisation » (p. 221) de la période de la survivance en quatre « jalons » (p. 227) interprétatifs et programmatiques : un récit sur soi, s’occuper d’économie, l’éclipse de la question du régime et un messianisme compensatoire.
Nous nous devons également de féliciter l’auteur pour avoir intégré de bonnes et pertinentes réflexions épistémologiques à ces textes, notamment sur la nature de l’histoire, sur le rôle de l’écriture et du présent en histoire ainsi que sur la tension entre objectivité et subjectivité, entre vérité et pertinence, à l’oeuvre dans le travail historien. Le lecteur regrettera toutefois l’absence d’une réflexion un tant soit peu poussée sur la notion de mémoire et sur la relation que celle-ci entretient avec un autre rapport au passé, soit l’histoire, dans la mesure où ces deux notions apparaissent dans le sous-titre de l’ouvrage ! Un autre élément qui aurait justifié la présence d’une introduction ou d’un texte de présentation.