Comptes rendus

Pichette, Jean-Pierre, Ah ! si l’amour prenait racine. Chansons populaires du Nouvel-Ontario : répertoire de Donat Paradis (1892-1985), cultivateur franco-ontarien (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2016), 492 p.[Notice]

  • Éva Guillorel

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  • Éva Guillorel
    Université de Caen Normandie

Jean-Pierre Pichette fait partie de toute une génération d’ethnologues-collecteurs spécialistes de la chanson de tradition orale en Amérique francophone qui ont beaucoup oeuvré depuis les années 1970 et qui ont atteint aujourd’hui l’âge de la retraite (on peut penser parmi d’autres à Marcel Bénéteau pour la région de Détroit, Donald Deschênes pour la Gaspésie, Georges Arsenault pour l’île du Prince-Édouard, Robert Bouthillier et Vivian Labrie pour la péninsule acadienne ou Barry Ancelet pour la Louisiane). Au cours de sa carrière partagée entre l’Université de Sudbury – comme professeur de littérature orale – et l’Université Sainte-Anne – comme titulaire de la Chaire en oralité des francophonies d’Amérique –, il a rassemblé un large corpus d’enregistrements de traditions orales (notamment des contes et des chansons) dans plusieurs provinces du Canada, mais a aussi été un acteur important du rayonnement international des études de folklore et d’ethnologie, tant par ses activités de recherche et d’enseignement que par la direction de la revue Rabaska. Les orientations récentes des départements d’ethnologie ont placé au second plan ce domaine d’études pourtant autrefois très reconnu, et une relève peine à s’imposer dans le milieu universitaire. Dans le même temps, des milliers d’enregistrements, pour beaucoup déposés dans des centres d’archives, attendent une édition critique de grande ampleur qui constitue un travail coûteux et chronophage. Dans ce contexte, l’ouvrage de Jean-Pierre Pichette consacré aux chansons qu’il a enregistrées auprès de Donat Paradis, premier volume d’une collection visant à mettre en valeur le répertoire recueilli au cours de ses enquêtes orales, est d’autant plus appréciable. Il a l’originalité d’être centré sur le répertoire d’un seul interprète à la mémoire remarquable, dans une région moins prospectée que d’autres par les folkloristes : l’Ontario francophone. Donat Paradis, habitant de Blezard-Valley à une vingtaine de kilomètres au nord de Sudbury, a grandi dans une famille de chanteurs, et ses beaux-frères ont d’ailleurs été enregistrés par d’autres collecteurs. C’est peu après son arrivée à l’Université de Sudbury que Jean-Pierre Pichette a rencontré cet informateur qui n’était autre que le grand-père de l’un de ses collègues universitaires. Alors âgé de 89 ans, Donat Paradis connaissait plusieurs centaines de chansons. 118 ont été recueillies au cours de 5 séances d’enregistrement en 1982, avant que la dégradation de son état de santé n’interrompe le travail de collecte. À cela s’ajoutent trois cahiers olographes dans lesquels le chanteur avait pris l’initiative de mettre par écrit une partie de son répertoire (avec une orthographe très phonétique comme le montrent les photos présentées dans le livre). Cent six chansons sont transcrites et analysées par Jean-Pierre Pichette dans l’ouvrage. Une très utile introduction situe le répertoire de Donat Paradis dans son contexte. Elle évoque brièvement l’histoire du peuplement canadien-français en Ontario et fait une précieuse synthèse des témoignages anciens sur la pratique du chant dans cette région depuis le XVIIIe siècle. L’auteur présente ensuite un historique des collectes de traditions orales franco-ontariennes depuis les enquêtes de Marius Barbeau, Édouard-Zotique Massicotte, Gustave Lanctot et Louis-Honoré Cantin dès la première moitié du XXe siècle, puis de François-Joseph Brassard, Lionel Bourassa et surtout du père Germain Lemieux après la Seconde Guerre mondiale, avant de terminer par les collectes réunies par le département de folklore et ethnologie de l’Université de Sudbury et par Marcel Bénéteau et Lucien Ouellet dans les années 1990. La biographie de Donat Paradis est aussi présentée, en insistant sur la place du chant dans son environnement quotidien et sur les réseaux d’informateurs qui lui ont transmis son répertoire : ce dernier peut être qualifié, comme le résume Jean-Pierre Pichette, de « blézardois par la géographie, familial et vicinal par …