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Avec l’édition des Anti-Gallic Letters de l’éditorialiste, pamphlétaire et universitaire écossais Adam Thom, nous possédons désormais un outil privilégié pour accéder au discours des « ultras » ou « radicaux » tories de Montréal des années 1830. Par ce biais, François Deschamps nous invite aussi à réfléchir sur la construction de l’État canadien en présentant « new insight on the roots of Canada’s political institutions, and on the difficulty Canada has in dealing [the] “alien element,” concentrated in Quebec » (p. 50).
Dans les Anti-Gallic Letters, articles parus initialement dans les colonnes du Montreal Herald et réunis sous forme de pamphlet en 1836, Thom s’adresse directement au gouverneur Gosford. Il souhaite le convaincre de mettre en oeuvre une gestion moins conciliante avec les Canadiens français. « Camillus », pseudonyme de Thom en référence au général qui mena la reconquête de Rome envahie par les Gaulois au IVe siècle av. J.C., est motivé par la peur d’une conspiration organisée par le « French Cabinet » au pouvoir à Londres et la « French Faction » du Bas-Canada, en vue d’établir une « French Republic » dans la colonie. S’indignant contre cette prétendue cabale, Thom rappelle l’histoire des Treize Colonies, notamment les conséquences de l’Acte de Québec de 1774. Il évoque aussi la possibilité de prendre les armes pour extraire les « British freemen » de l’oppression dont ils seraient les victimes. Davantage que la faction patriote, ce sont les Canadiens français qui sont la cible de sa plume. « Death rather than French domination », aime-t-il répéter, en écho au phénomène de « mentalité de garnison » (Greenwood, 1971). Sans représenter la tendance dominante chez les loyalistes, et encore moins la majorité de la communauté britannique de la colonie, les ultra-tories n’en ont pas moins une réelle influence politique. Pensons à l’activisme répressif du gouvernement colonial à l’automne 1837 (Deschamps, 2015) ou encore à la participation de Thom à la rédaction du rapport Durham (p. 15-18).
François Deschamps présente en introduction différentes clés pour aborder ces lettres ainsi que de multiples informations pratiques. Le lecteur universitaire ou le féru de la Rébellion regrettera probablement la brève mise en contexte historique, un récit qui manque parfois de précision (p. 9-16). Soutenir que la transformation du Parti canadien en Parti patriote n’est qu’une question de nom (p. 11) masque par exemple le tournant républicain du nationalisme bas-canadien (Harvey, 2015). L’essentiel est évidemment ailleurs. L’érudition de François Deschamps le conduit à s’appuyer sur un large panel d’auteurs pour faire ressortir les principaux éléments des écrits de Thom. Il prend également le soin d’éclairer ce pamphlet à la lumière de son contexte transatlantique. Dans cette veine, et à la lecture de certaines lettres (XXVIII ; XXXII ; XXXVI ; XLI ; LVI), il serait intéressant de poursuivre l’analyse des incidences au Bas-Canada de l’actualité politique du Royaume-Uni (p. 39-40).
Les « Lettres anti-gauloises » transportent le lecteur au coeur des tensions exacerbées qui caractérisent le Montréal des années 1830. La qualité littéraire et argumentative de ces textes a dû contribuer à convaincre François Deschamps de les aborder largement « at face value » (p. 29). La dimension rhétorique, stratégique, de ces Letters ressort pourtant d’une première lecture, à l’image de l’utilisation de l’idée d’un complot piloté par Londres. Si les références à la Révolution américaine et les menaces d’annexion aux États-Unis peuvent être relevées – un apport indéniable et fascinant – il semble discutable d’affirmer que les ultra-tories et les patriotes expriment un discours similaire (p. 34). Contrairement aux patriotes, le grondement subversif de Camillus est noyé dans une glorification de l’Empire britannique (III ; XIX ; XLVIII ; LII ; XLVIII) et une critique de l’esprit républicain ou démocratique (XVII ; XXIII ; XXVII ; XXX ; XXXII ; XXXIII ; XXXIV ; XLII ; XLV ; LVI). Néanmoins, le travail de F. Deschamps démontre la nécessité d’approfondir notre réflexion sur la notion de « républicanisme ».
Avoir accès aux Anti-Gallic Letters sera très utile pour de nombreux chercheurs-ses. Cette édition nous offre, en particulier, une rare opportunité d’apprécier l’oeuvre pamphlétaire de loyalistes très engagés dans les luttes de pouvoir. Les écrits d’Adam Thom enrichissent également notre compréhension de la dynamique politique qui a mené à la Rébellion. À travers ce livre, François Deschamps contribue enfin à démontrer la nécessité de relativiser l’idée d’un conflit binaire qui caractérise plusieurs ouvrages de référence sur la Rébellion.