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L’ouvrage recensé est la traduction d’une synthèse qui a d’abord été publiée en 2012 chez Oxford University Press et qui avait pour but de compléter la collection « Illustrated History of Canada » de l’éditeur britannique. La version française publiée en 2015 par Hurtubise constitue une excellente traduction de l’original (par Hélène Paré) et inclut un chapitre final légèrement bonifié : alors que l’original se clôt avec l’élection d’un gouvernement libéral majoritaire en 2008, l’édition française ajoute à la trame des événements « deux élections, un printemps “érable” et une Charte des valeurs » (p. 17). Le livre constitue donc une histoire générale du Québec qui va du peuplement initial du territoire québécois à l’élection du gouvernement libéral de Philippe Couillard.
C’est donc dire que les deux auteurs ont beaucoup de terrain à couvrir. Recenser un ouvrage de ce type est un exercice délicat. Il sera toujours facile de trouver des questions qui ont été passées sous silence ou des études importantes qui n’ont pas été mises à profit. La question à laquelle il faut plus probablement répondre est : cette synthèse apporte-t-elle, comme l’espèrent les auteurs (p. 19), de nouvelles perspectives sur l’histoire du Québec ? Et, si oui, quelles sont-elles ? De prime abord, deux aspects de l’ouvrage ont le potentiel de le distinguer d’autres synthèses de l’histoire du Québec.
Dans un premier temps, comme l’indique le titre anglais du livre, il s’agit d’une histoire illustrée du Québec. Gossage et Little nous assurent que les nombreuses illustrations que contient l’ouvrage « sont bien davantage que de simples ornements, car elles offrent une information historique qui ne serait pas accessible autrement et produisent du sens par de multiples conventions visuelles, comme l’expliquent nos légendes interprétatives » (p. 24). C’est en partie vrai. Si ces illustrations sont un peu décevantes sur le plan strictement matériel – elles sont pour la plupart en noir et blanc et d’assez petite taille –, elles sont effectivement accompagnées de légendes plus élaborées que la norme et qui offrent, dans certains cas du moins, des éléments d’analyse additionnels.
Dans un deuxième temps, les auteurs proposent en introduction – et le sous-titre de l’ouvrage l’indique dans les deux langues – de problématiser leur histoire du Québec à partir de la tension entre tradition et modernité : « Plutôt que d’envisager l’histoire du Québec comme une trajectoire relativement simple, de la tradition vers la modernité, ou de se livrer aux jugements de valeur que ces deux pôles pourraient sous-entendre, le présent ouvrage examinera de quelle façon une société nord-américaine distincte a survécu et s’est développée en raison des interactions continuelles entre ces forces opposées. » (p. 23) C’est une proposition intéressante, mais qui, au final, a un impact limité. D’une part, les notions de modernité et tradition ne sont pas vraiment problématisées en introduction (et seule la notion de modernité est définie). D’autre part, elles demeurent très discrètes au fil des chapitres. S’il est vrai qu’elles sont d’une utilité limitée pour aborder la période coloniale, elles auraient pu être mises à profit lors de l’épisode des rébellions de 1837-1838 par exemple. En fait, elles n’interviennent dans l’ouvrage qu’assez tardivement – à la toute fin du chapitre sur la révolution industrielle (p. 184) – et ont un effet structurant limité, voire inexistant. Au contraire, le nationalisme canadien-français et québécois joue un rôle central, mais parfois problématique, dans l’analyse. Les auteurs l’opposent souvent de manière un peu trop tranchée au libéralisme (voir le chapitre 9 notamment) et font une lecture parfois téléologique de la trajectoire qui mènerait du « clérico-nationalisme » à « l’indépendantisme » (p. 219, par exemple).
Bref, pour le lecteur averti, l’ouvrage n’offre pas vraiment de nouvelles perspectives sur l’histoire de la société québécoise. Il est organisé selon une trame chronologique assez traditionnelle, bien que chaque chapitre ait un thème central clair et pertinent. On peut également dire que les auteurs réussissent, dans l’ensemble, à bien équilibrer histoire sociale et économique, politique et culturelle. Cela dit, sur le plan historiographique, Gossage et Little tracent dès l’introduction un portrait plutôt manichéen de la recherche sur l’histoire du Québec : il y aurait les historiens nationalistes, porteurs d’un récit centré sur les conflits ethniques, culturels et politiques, et les historiens sociaux qui s’intéressent plutôt aux conflits socioéconomiques. S’ils ne caricaturent pas les premiers à outrance, ces historiens nationalistes ont une présence désincarnée au fil de l’ouvrage, alors que les auteurs nomment et commentent plus précisément les contributions d’un petit nombre d’historiens sociaux. Et c’est essentiellement le récit historique dont a accouché cette histoire sociale que nous propose l’ouvrage, s’éloignant parfois très peu de ce qu’on lirait dans Brève histoire socio-économique du Québec de John A. Dickinson et Brian Young par exemple. L’ouvrage s’appuie tout de même sur une belle variété d’études nouvelles et anciennes, en anglais et en français. Bref, il s’agit d’une bonne introduction générale à l’histoire du Québec et certainement d’une jolie contribution à la « Illustrated History of Canada », mais elle ne se distingue pas nécessairement du lot du côté de l’historiographie francophone.