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L’ouvrage dont il est question ici est le bienvenu. De nombreux autres ont été publiés récemment, dont certains collectifs, sur la Louisiane, notamment sur la période traitée par les historiens regroupés ici, de la fondation de la colonie à la Guerre de Sécession, mais trop peu en français. Il faut donc d’abord saluer le retour du français et souligner la nécessité de ne pas l’abandonner au prétexte d’étudier une réalité étasunienne. D’aucun, en France notamment, pensent qu’étudier sérieusement les États-Unis revient à angliciser totalement la production scientifique mais il n’en est rien, même s’il est vrai que publier en français mène souvent en l’état à se condamner à la confidentialité aux États-Unis. Les treize contributions réunies par Nathalie Dessens et Jean-Pierre Le Glaunec sont issues de deux rencontres tenues en 2012 à Toulouse et à la Nouvelle-Orléans et cela se ressent dans certains cas, ce qui est fort visible dans les références bibliographiques. Des chapitres ont fait l’objet de mises à jour jusqu’en 2015, d’autres à l’inverse donnent l’impression d’avoir été publiés dans leur état de 2012, ce qui laisse de curieuses impressions : la thèse d’Eric Saugera est ainsi citée dans sa version de soutenance de 2007 alors qu’elle a été publiée en 2011, le dernier ouvrage de Sara Le Menestrel n’est connu que par les travaux qui le préparaient alors qu’il est paru en 2015 ; et l’approvisionnement du port de Rochefort ne bénéficie ni des travaux de David Plouviez ni de ceux de Sébastien Martin.
Par ailleurs, s’il faut noter le grand intérêt que présente l’approche interdisciplinaire proposée par l’ouvrage, je ne suis moi-même, malheureusement sans doute, qu’un historien, et bien peu capable de ce fait d’apporter un éclairage scientifique sur les contributions de linguistique d’Annette Boudreau, André Thibaut et Luc V. Baronian. Tout juste puis-je faire remarquer qu’elles me semblent, dans leur conclusion, aller dans le même sens que les autres contributions du volume, à savoir la fin du mythe de cultures fixes, cajun ou créole, et l’importance des brassages de toutes sortes qui se sont opérés dans le carrefour louisianais. Car c’est bien autour de cette notion de « carrefour » qu’est bâti l’ouvrage, Nathalie Dessens et Jean-Pierre le Glaunec prenant le temps, en introduction, de revenir sur l’historiographie louisianaise pour mieux asseoir leur conception du « carrefour [qui] n’est ni “créole” ni atlantique » mais les deux à la fois sans doute, avec des équilibres variés en fonction des moments et des phénomènes étudiés.
L’ensemble des contributions brasse large, d’abord en termes de sources et c’est un aspect sur lequel je veux insister. Les fonds d’archives louisianais sont ici largement mis à contribution, notamment les correspondances francophones (Olivier Cabanac, Sylvia Frey, Nathalie Dessens), la presse (Nathalie Dessens), la littérature (Rien Fertel), les papiers institutionnels (Marieke Polfliet, Sophie White) ou issus d’institutions religieuses (Sophie White) ; mais les contributeurs sont aussi allés chercher ailleurs leurs sources, à l’Université Notre Dame pour Geneviève Piché qui a utilisé les fonds diocésains qui y sont entreposés ; en France pour Gilles-Antoine Langlois et Alexandre Dubé, aux Archives Nationales et Archives Nationales d’Outre-Mer mais aussi dans diverses archives départementales – Geneviève Piché aurait d’ailleurs enrichi son corpus en visitant, en France, également, les fonds de l’oeuvre de la Propagation de la Foi à Lyon. Les linguisticiens, eux, ont mené des enquêtes orales tandis que Claude Chastagner travaille la musique et ses supports.
L’ensemble peut apparaître de prime abord éclaté, mais fait la preuve de sa cohérence du fait du travail des deux directeurs du volume. La preuve est faite, avec cet ouvrage comme avec d’autres, que la Louisiane ne peut se contenter de vivre du ressassement de topoi touristiques et qu’il y a encore à déconstruire et reconstruire dans l’historiographie louisianaise. La conclusion de l’ouvrage qui en est dépourvu, par ailleurs, pourrait être qu’il ne faut jamais s’attendre à des schémas narratifs simples en Louisiane et que la réflexion ne peut porter ses fruits qu’en jouant des échelles, ce que ce volume sait parfaitement faire, entre vision globale et études de cas à vocation micro-historique. On navigue ainsi entre tous ceux qui ont participé à la formation d’un peuplement francophone dans la basse vallée du Mississippi, peuplement dont la caractéristique est bien l’éclatement.
J’aurais deux remarques à faire pour aller plus loin. D’une part, le travail sur les échelles aurait-il pu être approfondi en replaçant la Louisiane dans un contexte régional plus large, et je pense ici en particulier au travail de Kathleen DuVal, mais publié après les journées qui ont donné lieu à la publication recensée ici. D’autre part, il y a là comme ailleurs un point aveugle des études historiques sur la Louisiane : certes on se penche sur les francophones, blancs ou noirs, mais qu’en est-il des autres, ces Anglo-Américains ou Irlandais mentionnés incidemment ? Une histoire intégrée de la Louisiane n’oublierait personne et ne placerait pas les francophones en situation quasi insulaire.