Depuis l’essor d’une « Nouvelle Histoire de l’Ouest » à partir des années 1980, l’historiographie anglo-américaine a remis en cause un certain récit national de la constitution des États-Unis en réinterrogeant le concept de « frontière », en s’intéressant aux contacts entre sociétés coloniales et amérindiennes, et plus largement en réévaluant le processus de construction du territoire national des États-Unis. L’enquête passionnante de Tangi Villerbu s’inscrit dans cette logique en se concentrant sur le Minnesota, un espace rarement valorisé dans l’histoire de l’« Ouest » américain. L’auteur analyse trois décennies de basculement entre les années 1830 et 1860, qui voient ce territoire du Haut-Mississippi rattaché depuis la fin du XVIIe siècle au Pays d’en Haut canadien-français – et dont les structures évoluent peu dans les faits jusque dans les années 1840 – passer à un État pleinement rattaché à l’espace national des États-Unis. Ce glissement d’un modèle colonial à un autre est étudié sous l’angle du catholicisme, observatoire original peu abordé par les historiens anglo-américains. Cette entrée par la religion, qui pourrait paraître secondaire à première vue, permet en réalité d’aborder de nombreuses problématiques touchant toutes les communautés et repose sur une réflexion large prenant en compte la dimension sociale, économique, démographique et politique. Elle amène au final à s’interroger sur la définition des identités dans un espace complexe et en profonde recomposition et sur l’interaction entre religion et nation dans la construction des États-Unis. L’étude est divisée en deux parties chronologiques, séparées dans l’ouvrage par une série de cartes et documents tout à fait bienvenus. La première, « En pays Dakota, 1830-1851 », commence par dresser un tableau du Minnesota au début des années 1830. L’héritage français est fort – le français est toujours la langue des échanges –, le commerce de fourrures reste important, tandis que des voyageurs venus du Canada se sont installés comme fermiers, générant des unions mixtes et une population métisse. Les francophones catholiques forment donc une population importante au contact des Amérindiens, même si la présence coloniale américaine est de plus en plus marquée à travers l’armée, l’administration et les missionnaires protestants. Sur le plan religieux, ce territoire des confins est marqué par l’absence de prêtres catholiques, si ce n’est la présence lointaine de missionnaires dans des postes stratégiques comme Michilimackinak qui assurent un contact minimal avec la religion pour les voyageurs partant d’installer dans les plaines de l’Ouest. Pourtant, une pratique religieuse se perpétue dans les familles francophones même s’il s’agit d’une religiosité « bricolée » (p. 120), d’un catholicisme de négociation recomposé par chacun en fonction de ses besoins, de sa situation et des réalités quotidiennes. L’arrivée de Mathias Loras nommé évêque de Dubuque permet une inflexion en 1838-1839 : faute de moyens, on n’assiste certes pas à une grande vague missionnaire, mais à des initiatives circonscrites pour desservir les familles catholiques, fonder quelques paroisses et écoles et développer des projets d’évangélisation, notamment à travers l’expérience d’Augustin Ravoux auprès des Dakotas (même si l’on peut plutôt parler de « rencontre avortée » [p. 145] dans ce dernier cas). La seconde partie, « Le diocèse de Saint-Paul, 1851-1860 », s’intéresse à l’évolution rapide que connaît le Minnesota en une décennie : passant de 6000 habitants non indiens en 1850 à 172 000 en 1860, il devient un Territoire puis un État à part entière en 1858. La réorganisation qui s’ensuit passe par la structuration du peuplement en communautés qui reflètent la diversité des origines des migrants (entre autres francophones, Allemands ou Irlandais) mais aussi la marginalisation des Amérindiens repoussés à l’ouest ou cantonnés à des réserves. La fondation du diocèse de Saint-Paul …
Villerbu, Tangi, Les missions du Minnesota. Catholicisme et colonisation dans l’Ouest américain, 1830-1860, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 333 pages[Notice]
…plus d’informations
Éva Guillorel
Département d’histoire, Université de Caen Normandie