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Le parlement est sans doute l’institution centrale d’une société démocratique et connaître son histoire est indispensable pour les acteurs et les citoyens qui ne veulent pas être victimes de cécité politique. Christian Blais est le maître d’oeuvre de ce projet d’envergure ayant signé 12 des 37 chapitres. Lui et ses collaborateurs nous offrent un ouvrage de référence inestimable qui fait la synthèse des débats reconstitués par les chercheurs de l’Assemblée nationale de la 17e à la 26e législature. Ce choix de période nous semble peu orthodoxe et aurait mérité une explication car ce découpage ne correspond à rien politiquement. Pourquoi l’ouvrage débute-t-il en 1928 ? Cette coupure est d’autant plus étrange qu’elle est placée au milieu du règne d’Alexandre Taschereau qui est premier ministre depuis 1920. La fin de la période couverte est, elle aussi, problématique. Même si la 26e législature se termine en 1962 avec l’élection sur la nationalisation de l’hydro-électricité, on aurait pu prolonger l’étude jusqu’à la parution officielle du Journal des débats en 1964. Pourquoi laisser l’année 1963 orpheline dans cet entre deux époques ?
Le but de l’ouvrage n’est pas de faire l’histoire de l’institution parlementaire québécoise, mais plutôt de retracer à travers les débats à l’Assemblée législative les enjeux de société qui ont traversé le demi-siècle en postulant que les intérêts des députés reflètent ceux de la société. L’ouvrage s’appuie sur la reconstitution des débats qui a été faite à partir des comptes rendus journalistiques publiés dans les journaux de l’époque qui se caractérisaient par leur partisanerie. Rappelons à cet égard que le propriétaire du Soleil et de la Tribune, Jacob Nicol, était aussi ministre sous Taschereau. Comment alors faire confiance à ce que rapporte une presse aux ordres, bien souvent stipendiée ? En dépit de ce filtre journalistique, on soutient que cette source, malgré ses limites, est relativement fiable : « les membres de la Tribune de la presse ne prétendent pas à l’exhaustivité. Leurs comptes rendus couvrent cependant la majeure partie des échanges entre les parlementaires... » (p. 18) Certes, ils abrègent et résument, mais somme toute ils font leur travail avec rigueur. Une autre question se pose toutefois qui n’est pas abordée dans ce livre. En théorie, un député doit représenter et refléter les préoccupations de la population. Mais là aussi des filtres partisans s’imposent et les discours législatifs sont encadrés par la discipline de parti. Rien ne démontre que la vie parlementaire offre un portrait fidèle des enjeux qui sont débattus dans la société. Un miroir n’a-t-il pas toujours un effet déformant ? Il faut toutefois reconnaître que la source utilisée est un moindre mal et qu’il serait difficile de faire mieux. Les manques sont d’ailleurs comblés par un appel judicieux aux sources secondaires qui complètent les débats parlementaires.
Les chapitres se suivent et se ressemblent, car ils sont construits sur le même modèle. Chaque chapitre couvre une session parlementaire. Toutes les sessions ne reçoivent toutefois pas la même attention. Les chapitres consacrés à la fin du régime Taschereau (chapitre 9) et à la fin du régime Duplessis (chapitre 34) sont deux fois plus longs que la moyenne des autres chapitres. Après une courte introduction décrivant l’environnement international, le contexte économique, les faits sportifs et culturels marquants, ainsi que les modifications à la composition du Conseil législatif et du Conseil exécutif, l’auteur expose ensuite la vie parlementaire en suivant son déroulement chronologique avec la présentation du discours du trône, les réponses au discours, l’analyse du discours du budget où les surplus sont plus souvent qu’autrement au rendez-vous et, par la suite, il décrit les principales lois qui ont été adoptées. Défilent à la tribune de l’Assemblée les principaux acteurs dont on rapporte les interventions, soit celles du premier ministre, du chef de l’opposition et des députés les plus actifs. Pour l’adoption de chaque loi, on mentionne qui l’a proposée et les arguments qu’il a évoqués, de même que les contre-arguments de l’opposition. À travers ce récit pointent à l’occasion des événements importants comme la démission d’un député ou d’un ministre, un congrès de parti, l’élection d’un nouveau chef. Le tout est émaillé d’anecdotes parfois étonnantes qui allègent le propos comme l’attentat à la dynamite contre le premier ministre Taschereau, le 26 février 1929, le récit de certaines algarades corsées ou encore le record de longueur d’un discours prononcé par Aimé Guertin le 1er avril 1931 qui occupa la tribune pendant plus de huit heures. Cette structure narrative facilite certes la lecture et permet d’aller rapidement à l’essentiel, mais elle est quelque peu redondante.
Quelques thèmes transversaux reviennent avec constance à travers le temps comme celui de la place des femmes sur la scène politique et leur lente ascension dans le monde des hommes, la récurrence des surplus budgétaires, les interventions du clergé pour garder les législateurs sur le droit chemin, les relations fédérales-provinciales, etc. Les auteurs peuvent ainsi couvrir les enjeux qui sont peu abordés dans le corpus législatif. Comme historiens, ils s’évertuent parfois à montrer qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil et que des idées qui se réclament de la modernité du jour ont été énoncées il y a bien longtemps. Ainsi, la lutte au déficit pour ne pas nuire aux générations futures a été évoquée dans le discours du budget de 1934 (p. 138).
Il nous semble manquer un volet à cette histoire parlementaire, car les auteurs occultent presque totalement le travail du Conseil législatif qui est pourtant une des composantes du parlementarisme de type britannique. Le Québec de l’époque était la seule province à avoir conservé cette institution archaïque. En revanche, ils accordent beaucoup plus d’importance à la fonction du lieutenant-gouverneur qui n’est pourtant que protocolaire. Cette absence n’est pas expliquée et n’est sans doute pas excusable, même si l’apport des conseillers à la vie parlementaire fut sans doute marginal. Un chapitre supplémentaire analysant la contribution des « sénateurs québécois » au travail législatif aurait permis de compléter nos connaissances de notre institution parlementaire. Hormis ces quelques réserves, il faut souligner la qualité exceptionnelle de ce livre qui constitue un guide fiable pour suivre l’évolution du parlementarisme québécois. Septentrion a fait un travail d’édition remarquable et bien malin qui trouvera des erreurs factuelles dans cette somme documentaire indispensable à la connaissance de l’histoire politique du Québec.