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Cet ouvrage tire son origine d’un double constat : premièrement, les groupes de pression font partie intégrante de la scène politique québécoise ; deuxièmement, l’étude des groupes de pression québécois du XIXe siècle à nos jours reste encore à écrire. L’objectif de ce livre est donc de combler en partie cette lacune en proposant au lecteur une série d’études de cas, abordant des objets fort variés, et mettant en évidence l’ampleur et la diversité des logiques d’action des groupes de pression observés.
L’introduction établit un rapide tour d’horizon des enjeux terminologiques liés à l’emploi de l’expression « groupes de pression », avant de s’attarder aux types de pression et de participation réalisés par de telles formations et de montrer leurs apports à l’histoire et à la culture politiques du Québec. L’ouvrage se scinde ensuite en cinq parties distinctes. Chacune d’entre elles traite d’une thématique spécifique reflétant tant l’ampleur que la variété des groupes de pression.
La première partie, intitulée « Transport et environnement », se compose de trois textes. L’évolution de la place du vélo (1870-1900, puis à partir de 1970) et celle de l’automobile (1912-1948) y sont tour à tour abordées ainsi que la façon dont certains groupes de pression ont permis « l’émancipation » de ces deux moyens de locomotion. Le dernier texte de cette section s’intéresse à la question de l’énergie et des groupes verts (1972-1997) en mettant en évidence la façon dont certains groupes de pression contribuent à transformer la culture politique. La partie suivante, plus homogène, relève du domaine de la santé. Constituée de trois chapitres, elle traite des associations d’hôpitaux au Québec (1926-1966), des sociétés et fédérations de médecins (1961-1991) ainsi que de Diabète Québec (1960-2000), démontrant les relations parsemées d’embûches que les groupes de pression entretiennent avec le gouvernement.
La troisième partie est peut-être celle qui reflète le plus le titre de l’ouvrage, bien qu’elle ne soit constituée que de deux textes : il s’agit d’une part de retracer les relations entre la Gendarmerie royale du Canada et les groupes de pression favorables à l’unilinguisme français (1968-1974), en montrant notamment la façon dont la manifestation est perçue. Il est question de la Fédération des francophones hors Québec (1976-1991) ainsi que des questions posées par son existence au sein du Canada et au sein du Québec.
L’avant-dernière partie, « Minorités ethniques », recouvre un ensemble de trois textes aux objets relativement disparates et aux temporalités différentes. L’attention est en effet portée tantôt sur les Britanniques de Montréal (dans les années 1830), tantôt sur l’exercice de pression des Ukrainiens et des « séparatistes » québécois (1963-1971) et enfin sur le Congrès juif canadien (1969-1990). La dernière section de l’ouvrage s’inscrit également sous l’égide de l’hétérogénéité, en traitant de la conservation du château Ramezay (1893-1932), des associations et groupes de pression dans les villes moyennes du Québec (1900-1960) ainsi que du financement des universités québécoises de 1949 à 1956. Le point commun entre ces textes réside dans la façon dont ces groupes ont su faire émerger leurs idées dans l’espace public.
Au sein de leur introduction, les directeurs de l’ouvrage ont bien mentionné les limites de leur travail, en soulignant, avec justesse qu’« une véritable oeuvre de synthèse sur l’histoire des groupes de pression au Québec dans une perspective globale reste à écrire » (p. 37). En ce sens, le fait que l’ouvrage soit constitué uniquement d’études de cas est à la fois une force et une limite. Si l’étude de cas permet en effet une analyse approfondie du phénomène, la juxtaposition de plusieurs analyses de ce type transforme l’ouvrage en catalogue. Cela est d’autant plus vrai que le choix des études de cas ne fait pas l’objet d’une justification. De plus, il manque pour chacune des parties un texte introductif qui montrerait la pertinence de mettre ensemble les études de cas retenues et ce qu’elles ont ou non en commun. Cette absence, ajoutée à la diversité des cas analysés, fragilise la cohérence de l’ouvrage. De même, l’absence de texte conclusif, mettant en évidence les points de rapprochements et de divergences entre les textes, accentue les limites citées précédemment. Par exemple, le tableau présentant une typologie des différents groupes de pression (p. 99) aurait pu être repris en conclusion pour relier l’ensemble de ces cas d’analyse à une perspective théorique en lien avec les travaux de science politique. Si la conclusion qu’offre Martin Pâquet est intéressante – elle relate les différents temps de l’engagement des groupes de pression et de leurs caractéristiques – elle demeure néanmoins peu articulée au reste de l’ouvrage.
En dépit de ces limites, cet ouvrage constitue une excellente référence pour quiconque souhaite creuser un groupe ou type de groupe de pression spécifique. L’actualité de certaines thématiques abordées (le financement des universités, par exemple) est frappante et montre l’intérêt de l’entreprise amorcée par les auteurs. Ce livre participe à un déchiffrage nécessaire des groupes de pression selon une perspective historique, et l’on ne saurait qu’encourager les auteurs à poursuivre le chantier qu’ils ont entamé.