Comptes rendus

Lüsebrink, Hans-Jurgen, « Le livre aimé du peuple ». Les almanachs québécois de 1777 à nos jours (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2014), 500 p.[Notice]

  • Philippe Rioux

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  • Philippe Rioux
    Département des lettres et communication, Université de Sherbrooke

L’almanach a peut-être été l’imprimé le plus répandu auprès des classes populaires québécoises à partir des dernières décennies du XVIIIe siècle jusqu’aux années 1940. Ce « livre aimé de tous », comme l’appelait Émilien Daoust, pourtant relativement peu connu aujourd’hui, fait l’objet d’une analyse érudite menée par Hans-Jürgen Lüsebrink, spécialiste des almanachs européens et américains. Adoptant une perspective généralement comparatiste, l’étude de Lüsebrink entend présenter et questionner la relation de filiation qui existe entre les almanachs québécois et leurs modèles outre-frontières, en insistant toutefois sur ce qui fait la spécificité du corpus québécois à travers les siècles. Lüsebrink soutient d’emblée que l’almanach québécois, durant ses belles années d’existence, représente « de loin l’imprimé laïc le plus diffusé et le plus lu, devançant largement les tirages et la diffusion de tout autre livre (en dehors de certains livres religieux) et même ceux des grands quotidiens montréalais » (p. 31). Ce n’est donc pas par hasard qu’il se révèle rapidement comme un « médium d’acculturation » de prime importance : il informe une quantité exceptionnelle de lecteurs sur des questions variées, sans faire intervenir, dans bien des cas, le point de vue religieux. Dans cette optique, l’almanach ne représente rien de moins qu’une encyclopédie populaire, à la manière de ses modèles européens, condensant en un volume des connaissances qui, autrement, n’auraient peut-être pas trouvé leur chemin jusque dans les campagnes de la province. Sont ainsi transmises des explications quant aux nouvelles inventions technologiques, à la politique, à l’économie domestique, au corps humain, à la culture, bref, à tout ce qui peut s’avérer utile pour les lecteurs. Cette fonction éducative de l’almanach prend par ailleurs une certaine ampleur dans la première moitié du XXe siècle, alors que la modernisation accélérée de la société, de même que la démocratisation des savoirs, entraînent un besoin et une soif de connaissances nouvelles auprès de la population. Lüsebrink illustre donc parfaitement qu’au-delà des horoscopes et des prédictions annuelles, ces imprimés proposent un contenu sérieux non négligeable, parce qu’ils investissent massivement des foyers où ils n’auraient peut-être pas pénétré autrement. Le chercheur arrive aussi à bien montrer comment l’almanach canadien-français, à partir du XIXe siècle, cherche à constituer un « puissant vecteur de renforcement et de diffusion » (p. 191) de l’identité collective à travers la représentation de différentes réalités sociales et imaginaires. Plus concrètement, ce sont les thèmes récurrents du territoire, de la langue française et de la religion catholique qui sont discutés, aussi bien dans les textes en prose que dans la fiction. Lüsebrink constate ainsi une réappropriation de l’histoire du Canada, éloignée de la version jugée aliénante qui est proposée par les autorités et les historiens britanniques. Dans la même veine, les almanachs ont contribué à la diffusion des conflits linguistiques et politiques entre anglophones et francophones et à la consolidation d’une identité canadienne-française définie par opposition à ce qui compose les moeurs culturelles et religieuses de même que l’idéologie politique des Canadiens anglais et des États-Uniens. Paradoxalement, cependant que ces imprimés populaires témoignent et motivent un repli sur soi identitaire, une scission entre le « Nous » et « l’Autre », ils donnent cours à une fascination pour ce qui est étranger. Cette curiosité envers l’inconnu se manifeste le plus fréquemment par le biais de contes, des fables et de légendes publiés dans les almanachs, lesquels sont parfois écrits par des auteurs canadiens appartenant au canon littéraire, comme Philippe Aubert de Gaspé ou Louis Fréchette, et cherchant à rejoindre un large lectorat. Elle déborde cela dit du cadre de la littérature pour être exploitée, au XXe siècle, dans le discours …