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Au cours de l’hiver 2014, dans un contexte de débat sur les programmes d’histoire et leur « renforcement » annoncé quelques mois auparavant par le gouvernement péquiste, Jocelyn Létourneau publie Je me souviens ? Le passé du Québec dans la conscience de sa jeunesse. Comme l’indique son titre, le but de cet ouvrage et de l’étude dont il témoigne n’est pas de faire l’inventaire des connaissances historiques que les élèves québécois ont de leur histoire, mais bien de proposer un état des lieux de leur conscience historique, c’est-à-dire de « ce qui relève de la préhension et de la compréhension active et réflexive de ce qui fut » (p. 13). Pour ce faire, l’historien québécois et son équipe ont demandé à de jeunes Québécois francophones et anglophones scolarisés entre la quatrième année du secondaire et l’université de raconter par écrit l’histoire du Québec puis de « résumer, en une phrase ou une formule, l’aventure historique québécoise » (p. 10).
Entre 2003 et 2013, furent ainsi recueillies 3423 locutions réparties en deux corpus selon que le répondant avait suivi sa scolarité avant ou après la réforme du système scolaire québécois opérante en quatrième secondaire à partir de 2007. Le corpus principal regroupe ainsi 2752 énoncés et le corpus complémentaire 671. Ces corpus ont pu ainsi être traités de façon singulière mais aussi être comparés afin notamment de mesurer l’impact de la réforme sur la conscience historique des jeunes Québécois. Cependant, dans cet ouvrage, c’est essentiellement de l’analyse du corpus principal dont il est question, Létourneau annonçant lui-même que le corpus complémentaire est imparfait ; le chercheur déplore entre autres le nombre de sujets de certains des échantillons qui forment le corpus (par exemple, il compte seulement 44 répondants « réformés » de niveau universitaire).
Par ailleurs, avant même de penser pouvoir comparer la conscience historique des jeunes avant et après la réforme, il aurait été nécessaire de valider que cette réforme était non seulement réellement appliquée dans les classes mais aussi laisser le temps aux enseignants de s’approprier et mettre en place ces nouvelles approches avant de considérer les répondants comme représentatifs d’élèves scolarisés dans le système réformé. Nous aurions ici soulevé ces nuances à apporter à son analyse si l’auteur ne les avait lui-même évoquées. Notons que Létourneau accorde tout de même un chapitre de son ouvrage à l’analyse du corpus complémentaire et à sa comparaison avec les données du corpus principal.
Que nous apprend cette étude ? Au fil des chapitres, l’auteur brosse un panorama des représentations du passé du Québec dont témoignent les jeunes. Il soutient son propos par des tableaux statistiques et les verbatim de certains énoncés. Il présente ainsi les visions des répondants niveau par niveau, puis en fonction de facteurs de comparaison ou variables : francophones/anglophones, lieu de résidence, sexe (genre ?) avant d’évoquer les représentations des Autochtones et du Canada dont témoignent les répondants dans leurs énoncés et enfin de situer leurs visions du passé québécois par rapport à celles de la population en général.
Au sujet des énoncés analysés, l’auteur fait un premier constat : s’ils varient dans leur forme, de la simple interjection à la phrase rédigée en franglais, l’analyse de fond révèle en revanche que les jeunes ne disposent que d’une palette limitée de points de vue sur leur passé. Une palette de visions héritées, fondée sur ce que Létourneau qualifie de mythistoires… Par exemple, le lecteur ne sera pas surpris de lire que francophones et anglophones n’ont pas la même vision de l’histoire du Québec. Les jeunes francophones se positionnent comme les héritiers conscientisés du groupe qui a « survécu » aux conflits, adoptant le paradigme de la résistance ou au contraire de la nonchalance pour en témoigner. Les Anglo-Québécois, quant à eux s’inscrivent plus volontiers dans un double bind identitaire, évitant pour la plupart la dichotomie gagnant/perdant. Cependant, pour Létourneau, dans leurs énoncés, francophones et anglophones trahissent la même incompétence et « se servent d’un stratagème classique pour répondre à la question en avançant une formule creuse qui, certes, remplit un trou, mais n’amène rien de concret, de précis ou de signifiant au moulin de la compréhension ou de l’interprétation du passé » (p. 226). Pour Létourneau, les jeunes « savent sans connaître » (p.18) ; leur savoir est composé de connaissances brutes et de récits identitaires, un savoir assimilé dans une perspective que nous qualifierions de socialement utilitaire qui en aucune mesure ne laisse envisager l’exercice d’une pensée critique ou d’une méthode historienne…
Si selon nous ce livre est discuté, ce n’est pas, comme l’annonce l’auteur en quatrième de couverture, parce qu’il offre des résultats qui vont à l’encontre des idées reçues sur la connaissance qu’ont les jeunes Québécois de leur histoire, mais bien parce qu’il s’inscrit dans le débat des appartenances nationales cachées dans des discours officiellement consacrés à l’analyse des programmes, compétences versus connaissances, etc. La démarche de l’auteur s’inscrit dans cette dynamique. Dès les premières pages il annonce la question qui anime sa démarche : « Comment au moment où il s’engage dans le passage tumultueux qui le mène de l’adolescence à l’âge adulte, le jeune assimile-t-il ou se dote-t-il d’un ensemble de représentations du passé grâce auxquelles il inscrit son Je dans un Nous ? » (p. 24). De quel « nous » est-il question ici ?
Au moment même où nous terminons de rédiger ces lignes, le ministre de l’Éducation annonce la mise en place du nouveau programme d’histoire dans les classes du deuxième cycle du secondaire dès la prochaine rentrée scolaire, en 2015. Ce programme, récemment présenté dans sa forme provisoire aux enseignants et conseillers pédagogiques lors de congrès professionnels, a repris le nom de « programme d’histoire du Québec et du Canada », et comme la suppression de la formule « éducation à la citoyenneté » de son appellation le suggère, dans cette nouvelle version, la compétence dite « citoyenne » a disparu...