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Fruit d’un Séminaire de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN) organisé à l’Université Laval en 2009, cet ouvrage réunit les textes de seize auteurs en provenance d’une variété de disciplines, d’expertises de terrain et de pratiques sociales portant sur les mouvements associatifs et leur rôle dans « la vitalité, l’évolution et le rayonnement de la culture d’expression française dans les collectivités plurielles de l’Amérique du Nord » (p. 1). Ainsi, il nous convie à une réflexion sur la vie démocratique et sociopolitique de la francophonie nord-américaine, thématique trop souvent ravalée au rang secondaire dans la prise en compte de ses enjeux identitaires et juridico-institutionnels.
Dans la présentation, la directrice de l’ouvrage Lucille Guilbert retient une « conception large » du mouvement associatif « allant des associations et des organismes institués et mandatés officiellement aux réseaux plus informels ». Son analyse « vise l’identification des modalités d’expressions des appartenances multiples à travers les relations entre l’individu citoyen, l’action collective et l’intervention sociale » (p. 2). La francophonie y est pour sa part envisagée dans sa dispersion nord-américaine (de l’Alberta en passant par la Californie, l’Ontario, le Québec et jusqu’au Nouveau-Brunswick), à l’aune de ses identités multiples et comme étant en évolution dans « un mouvement de mondialisation, voire de planétarisation plutôt que seulement d’internationalisation » (p. 9). Une conception aussi élargie de l’objet « francophonie » a pour indéniable qualité de permettre le rassemblement d’une pluralité de vécus et d’expériences. Elle a peut-être toutefois le défaut de sa propre évanescence, qui abstrait ledit objet de toute historicité et gomme la possibilité de situer son analyse dans un lieu de sens particulier et significatif.
Les trois premiers textes abordent la question du rôle du politique dans la formation et le fonctionnement de la vie associative. Louis Favreau se penche sur l’évolution des pratiques d’action communautaire et du développement socio-économique à l’échelle locale comme nouveau mode de régulation politique et démocratique dans le Québec des dernières décennies. Selon lui, face à la crise de l’emploi, l’affaiblissement de l’État social et des services collectifs, la société québécoise aurait réussi à développer « une capacité propre de répondre à l’offensive néolibérale par ses dispositifs de médiation entre les initiatives locales et les pouvoirs publics » (p. 26). Cela dit, la réingénierie étatique inaugurée par le gouvernement libéral québécois depuis 2003 poserait une sévère menace à l’héritage du « Québec social » qui serait depuis « entré dans une phase plus réactive plutôt que proactive » (p. 35). L’étude qui suit du politologue Christophe Traisnel examine, dans une perspective comparée principalement axée sur l’Acadie et le Québec, le cas des groupes et acteurs militants d’aspiration « francophoniste » en insistant sur leur travail politique de fabrication identitaire. On retrouve ensuite un texte plutôt descriptif du sociologue Donald Dennie dans lequel il retrace l’histoire du mouvement associatif francophone comme vecteur de politisation en Ontario de 1850 à aujourd’hui.
Claudine Chalmers poursuit sur un autre registre en présentant un historique de l’essor des contingents français à San Francisco depuis l’époque de la ruée vers l’or du milieu du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’article, qui tient lui aussi davantage de la description que de l’analyse, relate le développement des premiers réseaux associatifs français dans la ville et leur évolution à travers le temps au gré de l’intensification et de la diversification des flux migratoires.
La chercheure Diane Farmer adopte pour sa part une perspective alliant l’ethnographie à la sociologie pour revisiter le cas historique du développement des centres culturels francophones en Ontario depuis les années 1960. Ces centres, institués en réponse à la perte des lieux traditionnels de socialisation, sont analysés à la fois comme prisme révélateur des transformations du lien social à l’échelle communautaire et du point de vue de leur inscription dans des rapports sociaux identitaires.
Les deux textes qui suivent abordent la thématique des associations littéraires et artistiques. James de Finney propose une analyse bourdieusienne du champ littéraire acadien au regard de l’un de ses principaux rouages : les maisons d’édition. L’écrivain J. R. Léveillé revisite, quant à lui, dans un texte qui tient davantage du témoignage personnel que de l’étude historique, l’« évolution tranquille » manitobaine des années 1960, une période d’éveil culturel au cours de laquelle les francophones ont établi les fondements associatifs et institutionnels de la « modernité culturelle franco-manitobaine ».
Le sociologue Simon Laflamme poursuit avec une étude portant sur les réseaux sociaux électroniques et leur utilisation dans le contexte minoritaire franco-ontarien. Son article met en relation l’usage des médias, et surtout Internet, avec les questions d’accessibilité, de fréquence et de langue. Il démontre, entre autres, que le rapport aux médias des francophonies minoritaires serait moins déterminé par le facteur minoritaire et les rapports de pouvoir avec la majorité que par ceux, plus complexes et diversifiés, de l’âge, de l’instruction et de la profession.
Les quatre textes suivants explorent diverses thématiques en lien avec la jeunesse en milieu minoritaire. L’historien Joel Belliveau démontre comment à travers l’expérience de trois « moments » de réseautage, la sphère étudiante acadienne s’est imposée comme un vecteur de changement social et idéologique important au sein de la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick entre 1950 et 1970. Normand Labrie et Sylvie Lamoureux dressent, pour leur part, un portrait global de l’accès des francophones de l’Ontario aux études postsecondaires de 1998 à 2006 en considérant certains facteurs d’incidence comme les types de programmes, la langue de l’enseignement, la proximité de l’établissement d’enseignement et le rôle des responsables de l’orientation scolaire. Dans la même veine, Annie Pilote et Céline Richard discutent l’enjeu de la migration des étudiants francophones en Ontario en lien avec leur choix d’étude à des niveaux supérieurs et de lieu de résidence futur. Karine Vieux-Port porte, quant à elle, son analyse sur la minorité anglo-québécoise en examinant le cas de Youth Employment and Educational Success Stories, une initiative mise en place en 2005 par les élites de la communauté anglophone de la région de Québec Chaudière-Appalaches pour favoriser la rétention et l’employabilité des jeunes anglophones.
En dernière instance, l’auteure Dulari Prithipaul retrace l’histoire des différentes vagues d’immigration francophone en Alberta depuis la Seconde Guerre mondiale en insistant tout particulièrement sur la poussée démographique des dix dernières années et la mise en place d’une structure associative d’accueil. L’article, à visée descriptive et s’appuyant beaucoup sur l’expérience communautaire de l’auteur, présente un certain intérêt historique mais n’est pas exempt d’une tonalité jovialiste qui rend parfois difficile la compréhension des enjeux et défis en présence.
Tout bien considéré, il faut saluer l’ambition de cet ouvrage qui, pour une rare fois, cherche à élargir le champ de questionnement et les perspectives de recherche sur la place, le rôle et la diversité des mouvements associatifs dans l’espace francophone nord-américain. On lui reprochera néanmoins la présence trop marquée de textes à caractère descriptif et à faible portée analytique qui noient, par moment, les objectifs énoncés en ouverture. Cet écueil aurait certainement pu être contourné par un dialogue mieux soutenu entre les textes, l’ajout d’une conclusion générale ou encore, par le choix d’autres objets d’étude mieux accordés à la thématique exploratoire. À ce propos, il est dommage qu’aucun texte n’aborde la question des luttes syndicales en francophonie, la contribution des mouvements associatifs de femmes francophones, voire encore le rôle historique fondamental des réseaux associatifs religieux qui, comme ceux des mouvements d’Action catholique, ont connu un rayonnement et une influence importante au Québec comme dans les communautés francophones minoritaires. On ne peut donc que souhaiter que le chantier de recherche balisé par cet ouvrage puisse susciter de nouvelles études et inspirer de nouveaux chercheurs dans un futur rapproché.