David Massell avait déjà publié en 2000 chez le même éditeur un premier ouvrage consacré au développement des ressources hydroélectriques de la région Saguenay-Lac-Saint-Jean au début du XXe siècle. Adoptant la même approche, il aborde cette fois-ci une autre période clé de l’histoire de l’hydroélectricité au Québec, celle de la Seconde Guerre mondiale. Si les projets d’Alcan sont au coeur de l’ouvrage, le travail des ingénieurs et fonctionnaires de l’État québécois est aussi examiné, de même que la politique énergétique du gouvernement québécois, principalement lors du mandat d’Adélard Godbout. En raison de la guerre et de la mobilisation exceptionnelle des ressources qu’elle entraîne, l’État fédéral joue également un rôle significatif dans l’établissement des priorités et des calendriers. Enfin, Massell introduit dans cette deuxième étude un point de vue nouveau, celui des Innus (Montagnais), la communauté autochtone qui fréquente depuis plusieurs générations le bassin hydrographique de la Péribonka, le principal affluent du Saguenay. L’ouvrage comporte six courts chapitres et une longue conclusion. Ils forment le récit des événements menant à la création de réservoirs à la tête des rivières Manouane et Péribonka (ouvrages visant à augmenter la puissance installée des centrales hydroélectriques d’Alcan dans la région), de même qu’à la mise en chantier de la centrale Shipshaw. Avant d’être convoité par le grand capital, les bassins hydrographiques de ces deux cours d’eau étaient le territoire de chasse des Innus. Puisant dans un matériel largement inédit – des enquêtes orales menées auprès des chasseurs-trappeurs montagnais par des membres de la communauté supervisés par l’anthropologue Denis Brassard à la fin des années 1970 et quelques entretiens qu’il a lui-même récemment réalisés –, Massell nous fait d’abord découvrir l’espace vécu de ces populations encore à demi-nomades durant les années 1930. Ce bref essai de « préhistoire » industrielle du bassin versant de la Péribonka montre à quel point leur connaissance concrète du territoire a longtemps surclassé celle qu’en avaient les ingénieurs de l’État et des grandes entreprises. À partir des années 1910, toutefois, ces derniers vont montrer un intérêt croissant pour les potentiels du Saguenay et de ses tributaires, multipliant les études hydrauliques et des travaux d’exploration sur le terrain. Les premiers ouvrages hydroélectriques majeurs au Saguenay sont mis en chantier par Duke-Price et Alcoa au cours de la décennie suivante, alors qu’on réalise une première cartographie précise des bassins versants du Nord en mettant à profit une nouvelle source, les photographies aériennes. Les années 1930 marquent toutefois un temps d’arrêt des grands projets. La communauté innue peut ainsi continuer à fréquenter pour un temps ses territoires de chasse et de pêche traditionnels où les familles de chasseurs passent encore la majeure partie de l’année. La forte demande d’aluminium pendant la Deuxième Guerre mondiale relance les projets d’Alcan (filiale canadienne d’Alcoa) dans la région. La production massive d’avions, et par conséquent d’aluminium, est alors considérée par les Alliés comme l’une des conditions nécessaires pour vaincre l’Allemagne nazie. L’étude de Massell montre bien le rôle crucial joué par les services canadiens et américains de coordination de l’industrie en temps de guerre. Les émissaires des gouvernements Roosevelt et Mackenzie King font tout en leur pouvoir pour accroître rapidement l’offre d’énergie au Canada ; le développement des potentiels encore non exploités du Saguenay paraît alors l’une des meilleures façons d’y parvenir. Aussi, non seulement appuient-ils financièrement Alcan, mais ils interviennent auprès du gouvernement du Québec pour qu’il cède à celle-ci les droits d’exploitation encore non aliénés. Rappelons que la question de l’électricité au Québec est considérée depuis au moins une décennie comme une question d’intérêt national. On y voit, en effet, à la fois une illustration …
Massell, David, Quebec Hydropolitics. The Peribonka Concessions of the Second World War (Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2011), 242 pages[Notice]
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Claude Bellavance
CIEQ et Département des sciences humaines, Université du Québec à Trois-Rivières