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Les enquêtes historiennes sur la guerre de 1812 – et encore moins les publications – ne sont pas légion, particulièrement dans le contexte francophone/québécois. La publication de Luc Lépine permet de pallier ce manque en proposant au grand public une lecture du contexte de cet épisode important de l’histoire canadienne.
Le livre est constitué de six chapitres, qui reprennent pour l’essentiel la structure de la thèse de doctorat déposée par l’auteur à l’Université du Québec à Montréal en 2005 (La milice du district de Montréal, 1787-1829 : Essai d’histoire socio-militaire). Les deux premiers chapitres présentent l’institution de la milice canadienne, qui a supporté l’effort de guerre en 1812. Luc Lépine prend soin d’évoquer l’histoire de l’institution comme telle, en plus de faire état des différents types de bataillons et de leur intégration dans l’organisation militaire générale propre au contexte colonial de la vallée du Saint-Laurent (p. 3-51). Dans le troisième chapitre, l’auteur présente la formation de certains corps de milice plus spécialisés (p. 55-65), avant d’enchaîner avec un portrait social des officiers de milice dans un quatrième chapitre (p. 69-86). Le cinquième chapitre est le seul qui aborde de front la guerre de 1812, à travers notamment l’émeute de Lachine et la bataille de Châteauguay (p. 93-120). Le sixième et dernier volet de l’ouvrage épilogue sur l’impact de la guerre sur l’institution de la milice, 1812 résonnant comme l’antichambre de sa mort clinique (p. 125-133).
L’ouvrage est essentiellement centré sur l’organisation et le rôle des bataillons de milice bas-canadiens de la région de Montréal dans l’effort de guerre. Ce fil conducteur produit un important décalage avec le titre de l’ouvrage et la proposition en quatrième de couverture, qui annoncent une réflexion globale sur le contexte de la guerre de 1812 sur l’ensemble du territoire québécois, en mettant l’accent sur les effets de la propagande et de la désobéissance civile. Or, ces deux derniers thèmes n’occupent en réalité que très peu d’espace dans le livre (p. 101-102 et p. 118-120). La mise en contexte générale fait défaut : les activités de la milice ne sont que très peu arrimées aux tourments politiques ou à l’environnement socio-économique et socioculturel plus large. Une présentation sommaire des enjeux qui occupent la société canadienne du temps aurait permis au lecteur de se donner quelques points de repère pour suivre la démonstration de l’auteur.
Ce choc passé, on porte intérêt à la thèse de l’auteur, qui repose sur le caractère profondément réfractaire des Canadiens français à la conscription de 1812, occasionnant à terme leur désengagement de la sphère militaire. La démonstration, conduite à partir de la réponse milicienne aux besoins des autorités britanniques, repose pour une bonne part sur l’évaluation du taux d’enrôlement, les émeutes découlant de la conscription et les désertions. Au cinquième chapitre, les émeutes de Lachine et de Pointe-Lévy apparaissent comme les symptômes d’un malaise généralisé des miliciens canadiens (p. 98-103). Sans être complètement faux, ce portrait de l’adhésion canadienne-française à la cause aurait gagné à être enrichi d’un portrait des allégeances des officiers, mais également d’un état des lieux sur les réalités miliciennes des différentes régions du Bas-Canada. Ces nuances auraient entre autres permis de départager la part de résistance à la conscription de celle aux autorités britanniques plus largement.
À cet égard, le regard porté sur la milice souffre d’un manque de mise à jour des références. On remarque l’absence de plusieurs travaux d’historiens des dix dernières années sur le sujet (S. Mills, 2005 ; R. Legault, 2007 ; C. Dessureault, 2007 et 2008) ; ces absences peuvent expliquer certaines propositions qui nous apparaissent erronées. Les dernières phrases du livre laissent ainsi pantois : « Les nombreuses promesses non tenues ont amené un désintérêt pour la chose militaire. Il n’est donc pas étonnant de voir que, durant la rébellion des Patriotes de 1837-1838, le gouvernement n’a pas fait appel à la milice. Celle-ci n’existait plus » (p. 132). Affirmation surprenante, dans la mesure où elle est erronée à la fois sur les plans formel et symbolique. Sur le plan purement administratif, le corps des officiers reprend son processus de recrutement usuel au lendemain de l’éclipse 1837-1840 et redevient tout à fait fonctionnel jusqu’à sa restructuration en 1868 – par l’entremise de laquelle la milice sédentaire s’éteint. Sur le plan symbolique, la milice a joué un rôle pivot dans le tourment des rébellions de 1837-1838, mais elle a surtout fait partie intrinsèque des processus de construction des statuts sociaux jusque très tard dans le XIXe siècle.
Par ailleurs, le chapitre 4 sur les officiers de milice s’ouvre sur une explication sommaire du recrutement, où il est suggéré que les officiers « ont fait un choix conscient de se joindre au corps des officiers […] [désirant] servir les intérêts de la colonie […] comme représentants de la couronne dans leur milieu » (p. 69). Cette formulation suppose un lien de cause à effet qui ne s’appuie sur aucune recherche. Elle induit une fausse conception du recrutement institutionnel pratiqué dans les campagnes de l’époque. Aussi, le principe de l’élection (au sens bourdieusien du terme) au sein des sociétés rurales canadiennes est un angle mort du tableau social esquissé, l’auteur réduisant l’analyse des profils des officiers à des catégories ethniques et socioprofessionnelles. Ces considérations le conduisent notamment à affirmer, un peu hâtivement sans doute, que « la majorité des officiers de milice est constituée de gens de la classe agricole, donc peu enclins à chercher les honneurs militaires » (p. 85).
À l’heure de la multiplication des démarches de commémoration entourant la guerre de 1812, la sortie d’un livre sur cet épisode de l’histoire militaire nationale – particulièrement avec le Québec au centre des enjeux – représente assurément un bon coup de marketing. Mais en insistant comme le fait l’auteur sur le caractère revêche et non coopératif des Canadiens de langue française dans le contexte de la guerre de 1812, on remplace un mythe par un autre : celui du « désintérêt pour la chose militaire » (p. 132) des Canadiens français prend ainsi le pas sur celui de la « fusion des races » entretenu par une certaine historiographie.
Sur le plan formel, le travail de bibliographie apparaît incomplet, dans la mesure où certains ouvrages en note n’apparaissent pas dans la bibliographie à la fin du livre. Les ouvrages de T. C. Willet, Weskey B. Turner, Allan Greer, Christian Dessureault et Roch Legault ne sont pas tous répertoriés, malgré qu’ils soient cités dans le corps du texte.
Le plus grand mérite de cette publication réside dans la mise au jour d’une institution fondamentale dans la vie des populations canadiennes d’hier, soit la milice. Elle aura non seulement participé à structurer la vie civile, mais fut également au coeur de la vie communautaire des paroisses québécoises d’avant la Confédération.