Comptes rendus

Livernois, Jonathan. Un moderne à rebours. Biographie intellectuelle et artistique de Pierre Vadeboncoeur (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2012), 355 p.[Notice]

  • Eric Desautels

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  • Eric Desautels
    Candidat au doctorat en Humanités Centre for Interdisciplinary Studies in Culture and Society, Université Concordia

Par son style et sa pensée critique, Pierre Vadeboncoeur a rarement laissé indifférents ses lecteurs. Son parcours a intéressé, pour cette raison, bon nombre de chercheurs en sciences sociales. Parmi les nombreux essais et thèses de doctorat publiés sur Vadeboncoeur, Jonathan Livernois réussit à se démarquer par une rigoureuse analyse littéraire du fameux essayiste québécois. Dans son ouvrage Un moderne à rebours, l’auteur avance que l’oeuvre et la pensée de Pierre Vadeboncoeur n’ont pas connu de véritable rupture. Contrairement aux fréquentes interprétations évoquant une désertion de l’immédiat et une fuite devant la modernité, l’auteur soutient que Vadeboncoeur a plutôt opté pour le recours au passé pour accepter et transformer la modernité à laquelle il était confronté à partir des années 1970 (p. 14). Livernois clarifie d’emblée son approche méthodologique et théorique qui emprunte énormément à l’histoire intellectuelle et à l’histoire sociale des idées. Il situe notamment ses travaux dans le sillon d’Yvan Lamonde, de Pierre Popovic, de Robert Vigneault et d’Yvon Rivard. L’auteur s’avère critique des interprétations courantes sur les intellectuels canadiens-français des années 1930 à 1960. Il affirme entre autres que la pensée de Vadeboncoeur se situe en dehors de l’influence personnaliste, critiquant du même coup ce courant de pensée en tant que source de la Révolution tranquille. Pointant essentiellement l’ouvrage Sortir de la « Grande Noirceur ». L’horizon « personnaliste » de la Révolution tranquille d’E.-Martin Meunier et de Jean-Philippe Warren (2003), Livernois affirme que Pierre Vadeboncoeur et Pierre Elliott Trudeau, pour ne nommer que ceux-ci, sont loin d’avoir adopté une telle perspective personnaliste. Une constante traverse l’ouvrage de Livernois. Selon lui, des tiraillements ou un « jeu dialectique » seraient omniprésents dans les écrits du célèbre essayiste québécois : entre passé, présent et avenir, entre tradition et Modernité, entre Ancien et Moderne, entre « la perpétuation du même et la rupture perpétuelle » (p. 194). En fait, il soutient que le Vadeboncoeur des années 1950 et 1960 se situe entre deux régimes d’historicité, c’est-à-dire entre deux manières distinctes d’envisager le passé et le présent, la tradition et la modernité. Cette dialectique est d’ailleurs au centre des réflexions de Vadeboncoeur qui poursuit, à ce propos, une trajectoire analogue à celle de Paul-Émile Borduas, selon l’auteur. Ce rapport à un passé universel chez Vadeboncoeur est exposé par Livernois à travers la prégnance du Moyen Âge et du classicisme dans l’évolution de sa pensée. Dans les années 1930, Vadebonoeur cherche dans le Moyen Âge et l’âge classique du Canada français des sources d’une tradition identitaire, ce qu’il retrouve dans le jeu dialectique entre l’Ancien et le Moderne. Sa position évolue dans les années 1950 et 1960, alors qu’il conclut, à l’instar des analyses de Marcel Rioux et Maurice Blain, que le Moyen Âge canadien-français doit se terminer rapidement. Il se trouve encore une fois entre deux régimes d’historicité. À partir des années 1970, l’essayiste et syndicaliste québécois propose un retour vers l’Absolu et la spiritualité. Pour contrer les effets encourus par la modernité (dérives de la techno-science et déspiritualisation du monde), Vadeboncoeur cherche dans le passé canadien-français les bons côtés oubliés qui pourraient aider à la construction d’une « nouvelle modernité ». Le rapport au passé de Vadeboncoeur n’aurait rien d’antimoderne : il constituerait davantage une ouverture vers l’Absolu, un retour vers les traditions et une réification de la dimension spirituelle du sujet contemporain. Le passé agit alors « comme une force d’amplification et comme ancrage solide » dans ses écrits (p. 105). Notons au passage les deux types utilisés par Livernois pour caractériser l’essayiste dans deux périodes distinctes de sa vie : le moraliste (1940-1970) et le classique …