Le collectif s’ouvre sur une synthèse signée Denyse Baillargeon, « Pratiques et modèles sexuels féminins », couvrant les décennies précédant la pilule, catalyseur de la seconde révolution sexuelle occidentale (Edward Shorter, Naissance de la famille moderne). La touche féministe est minimaliste par rapport à d’autres études moins sereines. Un tableau nuancé caractérise aussi l’essai de Christine Hudon sur l’éducation « sentimentale et sexuelle » des jeunes hommes dans les collèges classiques. Shorter avait malencontreusement assimilé la révolution (rupture plaisir-procréation) à un « raz de marée sentimental ». L’historienne conclut sur la notion de refoulement, préféré au concept de sublimation qui a inspiré, à leur insu, ces communautés religieuses féminines dans leur discours sur la chasteté (Nicole Laurin, chap. 3) ; l’auteure y publie le remaniement d’un article paru en 1999. L’Histoire universelle de la chasteté et du célibat (Élizabeth Abbott) aurait pu lui inspirer une refonte plus substantielle. Le thème de la répression traverse la plupart des chapitres subséquents. Avec « L’escouade de la moralité juvénile » montréalaise, Tamara Myers rappelle la lutte contre les prédateurs en quête de pédophilie. S’agissant des mêmes années 1940, le chapitre 5 est plus militant : marteler que le modèle hétérosexuel était l’objet d’un endoctrinement relève du complexe de persécution. Dans la très longue durée (structurelle) des civilisations, l’immense majorité des humains est instinctivement portée vers l’autre sexe. Nul besoin d’une armée d’apôtres de l’hétérosexualité. Il est néanmoins possible qu’au cours de cette décennie, on assiste à une croissance significative de la communauté homosexuelle montréalaise. Cependant la véritable croisade de l’époque ciblait la montée de la contraception. Pourquoi Jeffery Vacante a-t-il perçu « un contexte culturel qui privilégiait l’hétérosexualité » (p. 99 ; voir aussi p. 95-96) ? Mystère. En revanche, le chapitre onze sur la répression de l’homosexualité au début des années 1970 est beaucoup plus convaincant. Après une étude nuancée sur le combat contre les maladies vénériennes dans le sillage de la prostitution du temps de guerre, nous voilà relancés vers une nouvelle quête des indices de dialectique homo-hétéro au sein du culturisme de Ben Wider et Frère. La censure des journaux jaunes à Rimouski dans les années 1950 précède une analyse des courriers du coeur ; j’aurais l’air de me sentir mal aimé si je chicanais l’auteure pour ne pas m’avoir cité comme pionnier de l’analyse de cette source. Il me faut pourtant déplorer l’ignorance de Marie-Aimée Cliche : « Le rôle des courriers du coeur dans le dévoilement de l’inceste au Québec, 1935-1969 » (Revue sexologique, aut. 1998). Cliche a beaucoup publié en histoire de la sexualité au XXe siècle. Plusieurs subventions et prix scientifiques témoignent de la reconnaissance de ses pairs. D’autres absences sont également regrettables (v.g. Marie-Josée Des Rivières, Châtelaine et la littérature, l’Hexagone, 1992, sur le courrier de Jovette) dans une étude par ailleurs bien menée. On ne reprochera pas pareil manque de références à Jean-Philippe Warren : 93 copieuses notes de fin de chapitre sur le combat social de Parti Pris, qui s’étiole vers une quête éperdue de soi. La dernière étude sur Éros et le cinéma est intéressante ; même si mes connaissances en la matière remontent à la lecture d’Yves Lever, je crois qu’il s’y trouve de belles découvertes comme ce signalement de Thanatos qui flirte avec le dieu de la vie et de la jouissance (p. 221) ; Mon oncle Antoine aurait pu être cité à l’appui de la proposition. Dans l’introduction, Warren tente d’expliquer le retard du Québec en histoire de la sexualité (p. 10 et ss) : le « sentiment […] d’animalité …
WARREN, Jean-Philippe (dir.), Une histoire des sexualités au Québec au XXe siècle (Montréal, VLB éditeur, 2012), 296 p.[Notice]
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Serge Gagnon
Historien