« L’historien(ne) ne devrait pas se laisser arrêter par un manque de sources. » Ainsi retentit l’appel lancé par Caroline Galland en exergue à son ouvrage qui représente l’aboutissement de ce défi lancé : raconter l’implantation et l’évolution de l’ordre religieux des récollets dans la colonie, de 1615 à 1796. L’auteure fait dialoguer des documents hétérogènes – écrits des frères récollets, statuts provinciaux, lettres aux autorités, correspondance diplomatique, etc. – dispersés en Amérique du Nord, en France et à Rome. L’appareil bibliographique très riche fait non seulement une revue exhaustive de la littérature portant sur les récollets en Nouvelle-France, mais présente également de nombreux ouvrages récents. L’historienne étudie les différentes formes que prend la mission des récollets en Nouvelle-France en dégageant, de manière originale, la diversité des « terrains » d’apostolat et ce que ces différents contextes de pratique ont pu modifier sur le plan identitaire. La première partie de l’ouvrage retrace l’histoire de la « présence en pointillé » des récollets en Nouvelle-France à partir de quatre moments forts : la première mission (1615-1629) ; l’exclusion du Canada (1632-1636) ; le retour dans la colonie (1669-1670) ; leur existence sous le Régime britannique (1760-1796). Caroline Galland y expose d’excellente manière les facteurs politico-religieux ayant favorisé ou nui à la participation des frères aux missions de la Nouvelle-France. Elle s’attaque d’abord à l’énigme de leur sélection par Samuel de Champlain : pourquoi l’explorateur choisit-il en 1615 les frères mineurs qui n’ont pourtant aucune expérience de la mission ? En guise de réponse, l’auteure explore les réseaux de sociabilité sollicités par les récollets. Ainsi, il apparaît qu’ils étaient très actifs au sein des milieux dévots et curiaux, et qu’ils entretenaient des relations privilégiées avec les Grands, dont le prince de Condé et Marie de Médicis. Caroline Galland montre bien l’importance capitale qu’ont eue ces relations pour les franciscains qui n’auraient pu autrement financer leur mission. Mais ces jeux de pouvoir rendent leur situation instable : les frères doivent partager le monopole missionnaire avec les jésuites à partir de 1625 et le leur céder au recouvrement de la colonie en 1632. Vigoureusement tenus à l’écart du projet colonial, et ce, malgré leurs nombreuses tentatives entre 1632 et 1636 pour le réintégrer, les récollets se sont vu reprocher de vivre dans la pauvreté et d’être « trop romains », quelques-uns des arguments fabriqués que relève Galland. Elle explique qu’en 1669-1670, le contexte change sous Louis XIV et le retour des franciscains, gallicans affichés, est alors possible. Aussi, les récollets, qui avaient été en France les aumôniers en titre des troupes royales, continuent d’occuper cette fonction dans la colonie. En relatant ce retour supporté par le roi et l’intendant Talon, l’historienne expose également les frictions qu’il a créées avec certaines franges du pouvoir religieux, notamment avec Mgr de Laval et avec les jésuites. Dans ce contexte d’« affrontement », les frères se voient refuser systématiquement par l’évêque presque toutes les missions auprès des Amérindiens, réservées aux jésuites. Galland conclut l’étude des noeuds chronologiques de la présence récollette en abordant leur lente extinction, depuis l’interdiction de recruter imposée par les Britanniques jusqu’à l’incendie de leur couvent en 1796, entraînant la sécularisation des onze frères actifs dans la province. La seconde partie de l’ouvrage, intitulée « la vie matérielle », vise à rendre compte des conditions de la mission. Elle fait d’abord état de la fluctuation des effectifs franciscains selon les différentes périodes. À partir d’une présentation un peu lourde des données statistiques, nous apprenons avec étonnement que les récollets ont été fort nombreux à la fin du XVIIe siècle et dans la première …
GALLAND, Caroline, Pour la gloire de Dieu et du Roi. Les récollets en Nouvelle-France aux XVIIe et XVIIIe siècles (Paris, Cerf, 2012), 528 p.[Notice]
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Ariane Généreux
Université de Montréal