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Dans cet ouvrage, Linda Clark Nash, historienne, éducatrice et administratrice vivant à Jackson (Missouri), regroupe trois journaux de Pierre-Louis de Lorimier, traiteur de fourrures dans la vallée du Mississippi à la fin du XVIIIe siècle. Si des traductions anglaises du premier et du troisième journal avaient déjà été publiées respectivement en 1997 et 1909, Nash a constaté l’absence de travaux érudits sur Pierre-Louis de Lorimier ainsi que l’intérêt des chercheurs pour une telle biographie (p. 8, 65). Afin de retracer le parcours et la carrière de cet homme, l’auteure a entrepris de localiser les originaux français de ces journaux (ce travail lui a permis de repérer le second journal, inédit jusqu’à ce jour). Dispersés entre l’Angleterre et l’Espagne, ces journaux ont pu être consultés dans les collections de microfilms de la Newberry Library (Chicago), du Center for Louisiana Studies (Université de la Louisiane, Lafayette) et de la Historic New Orleans Collection (Nouvelle-Orléans) (p. 72, 93, 122). Nash a également identifié les sources et études complémentaires concernant Pierre-Louis de Lorimier et sa famille qui sont dispersées dans de nombreux centres d’archives d’Amérique du Nord. Ce travail considérable lui a permis de présenter à la fois les journaux dans leur version originale française et dans leur traduction anglaise, mise à jour par la consultation des originaux.
Le premier journal, qui décrit la période de 1777-1782, est un plaidoyer envoyé au gouverneur anglais, Frederick Haldimand, en vue d’obtenir une compensation financière pour la destruction de son poste de traite par les Américains. Le second journal, qui couvre la période de 1787-1793, est adressé au roi d’Espagne, Charles IV, et relate ses activités auprès des Chouannons, des Loups et des autres nations autochtones pour les attacher à la couronne espagnole. Le dernier journal relate les années 1793 à 1795 durant lesquelles une expédition franco-américaine (l’expédition Clark-Genêt) menaçait d’attaquer la Louisiane espagnole. Ce journal retrace les efforts de De Lorimier et de ses alliés autochtones pour assurer leur défense en prévision d’une attaque qui n’aura finalement pas lieu en raison du rappel de l’ambassadeur français, Edmond-Charles Genêt, et de l’intervention du président George Washington auprès de ses citoyens pour les empêcher d’attaquer la Louisiane espagnole. Illettré, Pierre-Louis de Lorimier fait rédiger ses trois journaux par son secrétaire Louis Largeau.
La structure de l’ouvrage démontre l’intention de l’auteure de construire une biographie du fondateur de la ville de Cape Girardeau (Missouri). L’édition des trois journaux est en effet précédée d’une chronologie de la famille de Lorimier, qui s’amorce avec l’arrivée en Nouvelle-France du grand-père de Pierre-Louis en 1685 et se termine avec la confirmation, pour les héritiers de Pierre-Louis, de leurs titres de propriété foncière en 1836. Cette chronologie est ensuite suivie d’une introduction qui dresse à la fois la biographie de Pierre-Louis de Lorimier et le contexte historique dans lequel ce dernier a évolué. Rédigée en anglais par Nash, cette introduction est également accompagnée de sa traduction française.
Malgré l’important travail accompli par Nash afin de reconstituer la vie et la carrière de Pierre-Louis de Lorimier, son analyse historique manque toutefois de profondeur et laisse le lecteur sur sa faim à plusieurs égards. Tout d’abord, l’auteure présente Pierre-Louis de Lorimier comme ayant un fort sentiment d’appartenance à chacune des puissances coloniales qui se sont succédé en Haute-Louisiane à la fin du XVIIIe siècle. Or, cette analyse reprend l’argumentaire même du commerçant qui, pour s’assurer de maintenir sa position stratégique dans ce lucratif commerce, cherche à attester sa loyauté et les services rendus. Cet exemple démontre que Nash néglige de remettre en perspective les procédés stylistiques employés dans ce genre littéraire. En effet, la riche littérature sur les récits de voyage est absente de sa bibliographie. Si Nash est consciente que le premier journal a été écrit pour obtenir des compensations financières, elle ne pousse toutefois pas sa réflexion plus loin pour analyser et déconstruire le récit de son protagoniste.
Ensuite, les cartes choisies pour illustrer cet ouvrage sont également révélatrices de son orientation globale. Illustrant la présence européenne dans le centre du continent, les cartes ne font quasiment aucune référence à la présence autochtone. Si la Haute-Louisiane (ancien « Pays des Illinois ») constitue un territoire où la présence européenne est effectivement très marquée au XVIIIe siècle, le reste du Pays d’en Haut, territoire au sein duquel Pierre-Louis de Lorimier évolue dans le cadre de ses activités commerciales, demeure encore, en revanche, un territoire autochtone, ce que l’auteure concède elle-même en soulignant le peu d’autorité des puissances coloniales dans l’Ouest (p 69). De plus, malgré l’omniprésence des Autochtones dans les journaux de Pierre-Louis de Lorimier et l’identification précise des individus et des nations avec qui il entre en contact, Nash traite généralement des Autochtones (qui sont malheureusement souvent appelés « Indiens » dans la traduction française de son introduction) en un seul bloc homogène. La prise en compte de l’importante littérature concernant les Autochtones qui s’est développée au cours des trois dernières décennies lui aurait permis de mieux comprendre les différences culturelles entre les nombreuses nations amérindiennes d’Amérique du Nord ainsi que les relations complexes d’alliance qu’entretiennent les Autochtones avec les différentes puissances coloniales dont de Lorimier se fait le représentant à la fin du XVIIIe siècle.
Au-delà des problèmes issus de l’absence de certaines historiographies, l’ouvrage atteint ses objectifs de dresser une biographie de Pierre-Louis de Lorimier et de rendre accessible, autant aux lecteurs francophones qu’anglophones, les trois journaux de Pierre-Louis de Lorimier. Ces journaux constituent en effet des sources très pertinentes pour tout chercheur qui s’intéresse à l’histoire mouvementée de la vallée du Mississippi dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Au final, soulignons que grâce au travail d’édition réalisé par Linda Clark Nash, l’importance du parcours et de la carrière du fondateur de la ville de Cape Girardeau sera dorénavant mise en lumière dans l’histoire coloniale de l’Amérique du Nord.