Des hommes, des femmes, des enfants et des mursNouveaux regards sur les institution de soins de santé et de charité, xixe et xxe siècle. Un dossier thématique en hommage à Jean-Marie Fecteau (1949-2013)[Notice]

  • Louise Bienvenue

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  • Louise Bienvenue
    Département d’histoire, Université de Sherbrooke

Quand en cette soirée de janvier 2012, Jean-Marie Fecteau m’a annoncé qu’il souffrait d’un cancer, il s’était aussitôt empressé d’ajouter : « Mon médecin m’a mis au repos complet, tu comprends. Ça veut dire que je ne pourrai pas écrire l’article sur la prison que je t’ai promis pour le numéro spécial. » J’étais abasourdie : comment peut-on s’inquiéter d’un article de revue savante quand sa propre vie est en jeu ? Mais à y repenser maintenant, il n’y avait rien là de bien surprenant. Une réaction comme ça, c’était du Jean-Marie tout craché : celle de l’historien passionné par son métier au point de ne pouvoir s’y arracher. Celle du chercheur ayant consacré une partie de sa vie à comprendre le phénomène du « grand renfermement » et qui a, sur le sujet, encore beaucoup à dire. C’était l’objectif initial du Centre d’histoire des régulations sociales (CHRS), fondé par Jean-Marie Fecteau avec ses collègues Jean Trépanier et André Cellard au tournant des années 1990, que d’approfondir l’étude de la prison, de l’asile, des écoles de réforme et des autres institutions assumant, au sein de la société bas-canadienne puis québécoise, des fonctions charitables ou pénales. De cette équipe, bientôt transformée en véritable fourmilière, Jean-Marie aura incontestablement été l’âme dirigeante. Lui, paradoxalement si solitaire, avait fait le pari du travail collectif et l’avait même érigé en valeur suprême, voire en mode de vie. À tel point oserai-je dire qu’au-delà de son oeuvre écrite, multiforme et substantielle, sa principale contribution à notre vie intellectuelle aura été cet incessant travail d’animation d’un foyer de recherche au sein duquel il a touché de sa générosité pédagogique et de son intelligence un nombre si impressionnant d’étudiants des trois cycles, d’assistants, de stagiaires postdoctoraux étrangers, de professionnels de recherche et de collègues. C’est dire combien le projet d’une publication commune autour du rôle et du statut de l’institution dans la prise en charge des problèmes sociaux aux XIXe et XXe siècles avait de quoi le réjouir puisqu’il rejoignait ses valeurs et livrait, en quelque sorte, sous forme sédimentée, le fruit de plusieurs années de réflexion collégiale. En vue de ce numéro thématique, Jean-Marie avait commenté les différentes ébauches de problématique et proposé des lectures communes susceptibles de nous inspirer. C’est ainsi que les contributions de plusieurs chercheurs et étudiants gravitant autour du CHRS ont été d’abord sollicitées et que l’invitation fut aussi lancée, en cours de route, à une collègue respectée du champ. C’était aussi ça, la manière Fecteau : réunir, au-delà des chapelles, des chercheurs aguerris et des historiens de la relève. Jusqu’à la fin, sur son lit d’hôpital, il s’était informé de l’avancement de la publication et de la qualité des textes déposés, évoquant les agencements et recoupements qu’une telle collection d’articles autour de la thématique institutionnelle pourrait rendre possible. Dans toute sa carrière, Jean-Marie Fecteau aura beaucoup fait pour l’avancement de la réflexion sur les institutions charitables et pénales. Après une thèse de doctorat sur le réseau d’assistance et de répression au Bas-Canada (Un nouvel ordre des choses, Montréal, VLB éditeur, 1989), au cours de laquelle il s’était familiarisé avec un système embryonnaire de régulation sociale, il devait consacrer une grande partie de ses énergies à comprendre la période ultérieure, soit l’après 1840, marquée par une véritable floraison institutionnelle. Sa fascination pour ce deuxième XIXe siècle, celui de la « régulation libérale » pour reprendre sa terminologie, ne se démentira jamais. Sans cesse, il s’étonnera du paradoxe situé au coeur même de la période : C’est dans La liberté du pauvre (Montréal, VLB éditeur, 2004), son ouvrage le plus …

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