Comptes rendus

Ouellet, Réal, La relation de voyage en Amérique (XVIe-XVIIIe siècles). Au carrefour des genres (Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2010), 165 p.[Notice]

  • Laurent Turcot

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  • Laurent Turcot
    Université du Québec à Trois-Rivières, Centre interuniversitaire d’études québécoises

Saisir la totalité des voyages européens en Amérique est une tâche colossale qui demande une érudition fine et précise. L’entreprise visant à contextualiser et à tracer dans un long temps les déplacements en Amérique a certes été étudiée mais, encore aujourd’hui, il manque un ouvrage de synthèse dans le domaine. Réal Ouellet, qui a édité plusieurs textes viatiques dans le passé, reprend certains de ses articles publiés sur le sujet au cours des vingt dernières années. Il apporte aussi de grandes lignes à une possible synthèse générale en travaillant sur des textes viatiques de la période coloniale française en Amérique du Nord et aux Antilles du XVIe au XVIIIe siècle. Là où d’autres tombent dans une profusion de détails et de pages, Ouellet livre 140 pages de texte bien ficelées avec des démonstrations efficaces et des citations savamment choisies qui ne donnent jamais l’impression de trop. Cependant, tout n’est pas traité et le sous-titre suggère déjà l’élément central de la problématique : la perméabilité du genre des relations de voyage aux autres formes littéraires qui se développent à la même époque. Dans le premier chapitre, Ouellet s’attache au pacte qui lie le narrateur à son protecteur. La relation de voyage ayant, la plupart du temps, un but fixé par une puissance supérieure, il convient de faire ses hommages et de rendre compte de la réussite des objectifs. Puis, c’est le passage du pacte actantiel au pacte littéraire qui rend compte d’une réalité littéraire de la relation de voyage. Au deuxième chapitre, ce sont les formes littéraires utilisées par les auteurs des relations pour rendre tangible ce qu’ils observent. Utilisant, entre autres, le langage autochtone, ces derniers veulent se donner une crédibilité face à leur lectorat, crédibilité nécessaire pour que le public suive et accepte les nouveautés évoquées. Puis, s’enchaînent divers procédés qui mènent les auteurs dans les cadres propres à la littérature, par exemple la mise en récit par la description d’un itinéraire ou d’une chronologie fixée. Dans le chapitre trois sont exposés les principes d’héroïsation du narrateur qui, tout au long de sa relation, passe du « nous » inclusif au « je » individualisé. Ce changement rend compte de la figure de l’écrivain qui se raconte, notamment à travers les conditions d’écriture qui sont pénibles, par exemple dans la forêt sous un froid glacial ou encore quand le corps est marqué par les fatigues extrêmes du voyage. L’auteur prend acte de ces difficultés et les raconte pour s’élever comme un personnage, mais un personnage qui raconte le réel et en donne de multiples exemples pour convaincre son lecteur de la véracité des faits. D’autres fois, l’écriture devient combat, comme les salves que se lancent Champlain ou Lescarbot d’une publication à l’autre. Il s’agit de se présenter comme l’autorité la plus établie. Cette héroïsation est également perceptible dans la rhétorique finement développée par les auteurs, idée qui renforce la thèse de la perméabilité de la relation de voyage et, surtout, de son essence proprement littéraire. Les quatrième, cinquième et sixième chapitres sont orientés vers les procédés littéraires utilisés pour rendre compte de l’extraordinaire des découvertes à un public européen qui ne peut se représenter ce que le voyageur a pu observer. On reprend ici la question du chapitre 2 en la développant : comment rendre tangible ce qui semble, à première vue, une affabulation complète ? Comment donner une image claire de l’extraordinaire observé ? La vaste culture biblique et antique est ici largement utilisée. En bricolant des descriptions à partir de référents communs (la bible et l’histoire ancienne), le voyageur donne à penser l’étrange dans un …