Ample survol sur près de trois siècles d’histoire, The Reluctant Land peut aussi servir de bilan de la carrière de ce géographe historien émérite, formé avec plusieurs autres Canadiens par A. H. Clark à l’Université du Wisconsin. Davantage que ses collègues, adeptes de l’approche régionale, Harris s’est intéressé à l’histoire de l’ensemble du sous-continent qui deviendrait un jour le Canada. Tout en travaillant à moindre échelle lui aussi – citons ses études sur les seigneuries laurentiennes, le Québec du XIXe siècle, puis sa Colombie britannique natale –, C. Harris n’a jamais perdu de vue l’espace transcontinental qu’il aime appeler early Canada. Ce livre est le troisième projet de synthèse auquel il s’attaque, après avoir coécrit Canada before Confederation (1974, avec J. Warkentin) et très activement dirigé le premier volume de l’Atlas historique du Canada (1987). C’est donc une réflexion longuement mûrie sur l’espace canadien qui trouve dans The Reluctant Land son expression jusqu’ici la plus achevée. Et qui s’attache à donner un sens aux expériences coloniales vécues sous ces latitudes nordiques avant la Confédération. C’est ici qu’intervient la « réticence » du titre. Pays « difficile à connaître » (p. 471, formulation analogue p. xv), de surcroît issu d’un mariage arrangé, le Canada serait « réticent » à plus d’un égard. Mais la réticence la plus fondamentale s’inscrit selon Harris dans l’histoire d’une colonisation difficile. Les deuxième et troisième phrases du livre résument déjà ce thème central : « Des colonies de peuplement françaises puis britanniques furent superposées sur des peuples autochtones. La roche, le gel et, par la suite, la frontière états-unienne, circonscrirent des zones discontinues de colonisation européenne » (p. xv). Colonies isolées les unes des autres et situées aux marges de l’oecumène, contraste entre le Canada et le voisin du Sud plus favorisé par la géographie, enfin, des Amérindiens bientôt dépossédés : le pays se fera malgré sa vaste étendue et son cadre physique peu hospitalier, et il se fera aux dépens de ses habitants autochtones. Aussi le livre – et d’après Harris, le Canada – trouvent-ils leur cohérence respective dans cette expérience coloniale. Si le récit fait une place honorable à la vie urbaine et met en évidence l’action, souvent plus visible en ville, du capital et des États impériaux successifs, ses principaux acteurs habitent plutôt les grands espaces. Ils sont agriculteurs, pêcheurs ou bûcherons (dans une moindre mesure, ils sont Amérindiens). Sur la couverture, le chantier forestier dépeint par Clarence Gagnon renvoie à cet univers du travail surtout masculin. À certains égards, ce livre prolonge le vieux thème littéraire canadien exploré par Margaret Atwood dans Survival (1972). Nous sommes bien en pays de survivance, au sens d’abord physique du terme. Ces voyages sont riches en enseignements. Doté d’une plume concise et élégante, Harris exploite habilement les travaux de géographie historique et d’histoire sociale, économique et régionale des dernières décennies (de consistants essais bibliographiques prolongent d’ailleurs les chapitres). Comme l’indique le sous-titre, l’analyse explore l’interface de l’espace/environnement et de la société. Cela nous vaut une large gamme de thèmes. Dans les chapitres portant sur les régions (re)peuplées par des colons, il est question d’immigration, d’occupation du sol, d’habitat et de paysages ruraux et urbains, de productions multiformes (familiale, industrielle), de l’organisation des échanges… Et sans faire de son livre une histoire environnementale à part entière, l’auteur se montre attentif aux changements écologiques qui accompagnent la colonisation, dans la zone des défrichements mais aussi dans ses marches forestières ou au large des côtes. Dans cette optique, l’histoire coloniale de la vallée laurentienne se résume au transfert d’une « écologie européenne fondée …
Harris, Cole, The Reluctant Land : Society, Space, and Environment in Canada before Confederation (Eric Leinberger, cartographe) (Vancouver, UBC Press, 2008), xx-486 p.[Notice]
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Thomas Wien
Département d’histoire, Université de Montréal