Comptes rendus

Desloges, Yvon, À table en Nouvelle-France. Alimentation populaire et gastronomie dans la vallée laurentienne avant l’avènement des restaurants, avec la collaboration de Michel P. de Courval (Québec, Septentrion, 2009), 240 p.[Notice]

  • Catherine Ferland

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  • Catherine Ferland
    Université de Sherbrooke

Comme le phrasait joliment le sociologue français Claude Fischler, « on mange ce que l’on est ». Or, sous l’oeil de l’historien, la population québécoise présente une identité alimentaire pour le moins bigarrée. Après quelques décennies de surreprésentation du modèle alimentaire nord-américain, on assiste actuellement à une résurgence du manger local. De plus en plus, le Québécois souhaite s’alimenter certes sainement, mais surtout sciemment. Les modèles se succèdent, s’additionnent, se contredisent : mangez-vous bio ? Montignac ? méditerranéen ? dissocié ? Et si nous mangions tout simplement… québécois ? Encore faut-il savoir en quoi consiste l’alimentation québécoise. La recherche des traditions alimentaires et des racines de la gastronomie se traduit par un retour vers les produits « du terroir », avec tout ce que ce terme peut comporter d’ambiguïtés. En alimentation comme en bien d’autres champs, la notion même de tradition ou d’authenticité comporte un flou qui vient brouiller l’appréciation dans la longue durée ! C’est ici que l’ouvrage d’Yvon Desloges s’avère précieux. En livrant par le menu (sans jeu de mots) de nombreuses données sur le contenu du garde-manger des habitants de la vallée du Saint-Laurent de 1608 à 1791, l’historien contribue à révéler un riche pan de la culture matérielle du Québec. Cet intérêt pour l’histoire de l’alimentation populaire n’est pas le fruit d’une découverte récente : en fait, il y a plus d’une trentaine d’années que Desloges a commencé le patient et minutieux défrichage des sources historiques pour tenter de comprendre comment mangeaient nos ancêtres. Alliant la curiosité de l’épicurien à la compétence de l’historien, il avait trouvé en la personne de Marc Lafrance un comparse animé du même désir de faire connaître les manières de manger d’antan. Ils avoueront d’emblée avoir eux-mêmes essayé toutes les recettes mises au jour pendant leur recherche ! Leur projet avait abouti à plusieurs publications, dont le livre Goûter à l’histoire – les origines de la gastronomie québécoise (Éditions de la Chenelière, 1989). Les obligations professionnelles de Desloges – alors historien chez Parcs Canada – l’ayant ensuite amené à travailler sur d’autres thèmes, le dossier alimentaire entra dans une phase de dormance. Or, Desloges fut tout récemment appelé en renfort par l’équipe du Château Ramezay, à Montréal : on avait besoin de son expertise en histoire de l’alimentation pour monter une exposition intitulée « À Table ! Traditions alimentaires au Québec ». Renouant avec plaisir avec ses premiers intérêts de recherche, l’historien replongea donc dans les volumineux relevés d’inventaires après décès, qu’il avait constitués avec Lafrance, ainsi que dans les livres de cuisine anciens où se trouvaient consignées les recettes ayant forgé le savoir-faire culinaire du Québec. Il importait que cette considérable masse d’information ne retombe pas dans l’oubli, une fois l’exposition terminée. C’est ainsi qu’est née l’idée du livre À table en Nouvelle-France. Alimentation populaire, gastronomie et traditions alimentaires dans la vallée laurentienne avant l’avènement des restaurants. Manger est un acte complexe… et décrire cet acte dans la longue durée l’est tout autant. Il importait donc de doter le livre d’une structure qui soit à la fois claire mais souple. Desloges a opté pour une division en deux temps : on a d’abord une section où se succèdent des chapitres selon un mode chronologique, qui mène ensuite à une section où sont regroupées une quarantaine de recettes inspirées des époques traversées. Le premier chapitre est consacré à l’alimentation des premiers habitants du territoire, à savoir les nations amérindiennes. En s’appuyant sur les témoignages des missionnaires et explorateurs de la colonie, Desloges s’attache à décrire comment cultivent, chassent et cuisinent les Amérindiens. L’exercice est d’autant plus intéressant qu’il permet de saisir …