Le livre de Béatrice Craig sur l’économie et la société du Madawaska au XIXe siècle est une étude magistrale et originale, la somme de longues années de travail. Partant d’une région bien circonscrite à la frontière du Nouveau-Brunswick, du Maine et du Québec, l’auteure tire des conclusions qui peuvent s’appliquer de manière plus large aux sociétés rurales du nord-est de l’Amérique du Nord. Elle démontre ainsi toute la valeur des études de cas ciblées. En mettant l’accent sur la capacité d’agir des hommes et des femmes du Madawaska, qu’ils soient d’origine acadienne, bas-canadienne ou autre, l’étude vient souligner l’influence des dynamiques locales sur la croissance d’une culture de marché. Elle montre avec finesse que l’économie locale, fondée sur l’agriculture et l’exploitation forestière, est loin d’être tributaire des aléas du capitalisme commercial international. Adoptant avec justesse une définition élargie du marché qui s’étend à l’ensemble des activités d’échange des ménages, à la fois de production et de consommation, l’auteure expose de manière convaincante comment l’économie du Madawaska se transforme sous l’influence de réseaux d’échange complexes autant locaux et régionaux qu’internationaux, basés en bonne partie sur les réseaux personnels de sa population hétéroclite et sur l’initiative d’agriculteurs et d’entrepreneurs locaux. En même temps, l’étude évite la tentation de voir le développement économique uniquement en termes positifs en faisant bien ressortir les inégalités sociales et économiques importantes qui caractérisent cette microsociété. D’une grande rigueur scientifique, l’ouvrage conjugue une gamme impressionnante de sources avec des méthodes à la fois quantitatives et qualitatives et des échelles d’analyse qui vont de la biographie individuelle à la macroéconomie, le tout fondé sur une reconstitution exhaustive des familles, des propriétés et des productions des habitants de la région. En somme, l’ouvrage de Béatrice Craig nous apporte un éclairage précieux non seulement sur le Madawaska, mais également sur l’histoire de l’Amérique française dans son ensemble. Le prix Guy-et-Lilianne-Frégault 2010 est décerné à Serge Dupuis pour son article intitulé « “Plus peur de l’hiver que du diable” : des immigrants aux hivernants canadiens-français à Palm Beach (Floride), 1945-1997 » dans le numéro 4 du vol. 63 de la Revue. Serge Dupuis y propose une étude remarquable par son originalité, son cadre théorique solide, la diversité des sources utilisées ainsi que par sa structure limpide. Cette contribution, que l’on pourrait situer au carrefour de l’histoire des migrations et de l’histoire du tourisme, fait de la localité de Palm Beach son cadre d’observation de la présence canadienne-française en Floride durant la seconde moitié du XXe siècle. Cette présence des Canadiens français en Floride (des Québécois mais aussi des Franco-Ontariens, des Acadiens…) se transforme considérablement durant la période étudiée et revêt un caractère qu’il qualifie de nationalitaire. Alors que dans l’après-guerre la Floride constitue une destination migratoire dans une logique similaire à celle qui avait prévalu aux migrations vers la Nouvelle-Angleterre avec le soleil en supplément, celle-ci devient progressivement un lieu d’hivernement pour nombre de retraités qui n’en gardent pas moins leurs attaches au Canada. L’auteur a recours à des sources variées, dont les recensements et les archives d’associations francophones de la région de Palm Beach qui rendent l’analyse solide ; il s’appuie, par ailleurs, sur une série d’entrevues qu’il a réalisées auprès de 25 migrants. C’est à l’un d’eux que l’on doit le sous-titre évocateur de l’article « Plus peur de l’hiver que du diable ». Soulignons enfin qu’en adoptant une perspective large de la francophonie canadienne, Serge Dupuis révèle une certaine solidarité entre les Canadiens français de Palm Beach, contribuant ainsi à la réflexion sur les rapports entre Québécois et minorités francophones hors Québec. Dans un ouvrage qui …
Prix de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (édition 2010)[Notice]
Composition du comité
Gratien Allaire, Université Laurentienne de Sudbury
Benoît Grenier, Université de Sherbrooke
Donald Fyson, Université Laval