Dégusté sous forme solide, dissout dans une boisson chaude, incorporé à du beurre et de la farine, le sucre ne laisse personne, ou presque, indifférent. Comme objet d’étude pour les historiens, les économistes ou encore les anthropologues, le sucre ne manque pas non plus de passionner et d’alimenter d’âpres débats. On connaît le rôle central joué par la canne à sucre dans l’édification du Nouveau-Monde. À Saint-Domingue, au Brésil, dans les Guyanes, en Louisiane (après sa vente aux États-Unis), à Cuba au XIXe siècle, le sucre a structuré les échanges économiques et sociaux. L’alliance infernale du sucre avec l’émergence du capitalisme et la construction du concept de race peuvent expliquer en bonne partie l’évolution de nombre de sociétés américaines pendant la période moderne. Source de plaisir pour certains, le sucre symbolise surtout l’oppression de millions d’esclaves transportés des côtes africaines entre le XVIe et le XIXe siècle. Une fois l’esclavage aboli, l’immigration de travailleurs « libres », indiens, chinois, japonais, par exemple, est encouragée pour soutenir l’économie. Partout, ces salariés sont victimes de discrimination et travaillent dans des conditions déplorables. Objet de propagande dans la France napoléonienne, dans l’Allemagne nazie, dans la dictature de Trujillo en République dominicaine ou à Cuba à partir de 1959, le sucre, de betterave ou de canne, est un sujet sans aucun doute fascinant. Elizabeth Abbott, auteure à succès de grandes synthèses, notamment sur la chasteté ou le mariage, en retrace l’histoire dans son livre Le sucre. Une histoire douce-amère. Le livre, qui compte pas moins de 450 pages en incluant l’appareil de notes et la bibliographie, ne manque pas d’intérêt. Il est divisé en quatre parties : « Le délice oriental conquiert l’Occident », « Le sucre noir », « L’abolition de l’esclavage par la résistance et le Parlement » et « Le monde sucré ». Tout y passe, du moins en apparence : les origines du sucre en Nouvelle-Guinée, sa démocratisation aux XVIIe et XVIIIe siècles, les conditions de vie des esclaves, l’abolition de l’esclavage au XIXe siècle et les transformations de la canne à sucre dans le monde du salariat. La Révolution haïtienne fait bien sûr partie de la discussion. La chute de la colonie française entraîne des bouleversements importants dans la reconfiguration géopolitique du monde de la production sucrière. L’abolition de la traite atlantique en 1807 par la Grande-Bretagne, et en 1808 par les États-Unis, altèrent également en profondeur l’économie mondiale du sucre. L’auteure termine son ouvrage par une rapide présentation des dommages écologiques causés par la denrée sucrée, les enjeux médicaux modernes et les nouvelles questions que pose par exemple la production d’éthanol. Dans ce livre ambitieux et détaillé, à peu près tous les lecteurs peuvent trouver quelque chose à se mettre, justement, sous la dent. Si le livre ne manque pas d’intérêt, on peut tout de même s’interroger sur son utilité intrinsèque. Il présente plusieurs longueurs et la dernière partie ressemble à s’y méprendre à un catalogue, au mieux, laborieux. L’auteure ne se contente jamais de donner un ou deux exemples pour étayer ses propos, mais une bonne demi-douzaine, voire plus dans certains cas. À la page 407 par exemple, on apprend que « le sirop de maïs à haute teneur en fructose de maïs […] sert d’édulcorant de base pour des produits aussi classiques que la limonade rose de Newman’s Own ». Suivent pas moins d’une trentaine d’exemples qui font penser à une liste d’épicerie plutôt qu’à un livre d’histoire. Le même procédé est appliqué, encore et encore, au début du livre pour décrire les sculptures de sucre que l’élite occidentale offrait …
ABBOTT, Elizabeth, Le sucre. Une histoire douce-amère (Montréal, Fides, 2008), 449 p.[Notice]
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Jean-Pierre Le Glaunec
Département d’histoire, Université de Sherbrooke