Débat

Pour une épistémè ouverte, plurielle et compréhensive[Notice]

  • Jocelyn Létourneau

…plus d’informations

  • Jocelyn Létourneau
    Boursier Fulbright, University of California – Berkeley
    Stanford University

Je me souviens d’avoir tenu, au début des années 1980, à l’endroit de Jean Hamelin qui incarnait dans sa conception et sa pratique de l’histoire toutes les tendances qui m’irritaient chez les disciples de Clio, des propos fort critiques, presque insolents. Faisant preuve de fronde plus que de profondeur et affichant dans mon dire de la jeunesse plus que de la sagesse, je reprochais à Hamelin et à sa collègue Nicole Gagnon, qui venaient de commettre un petit ouvrage intitulé L’Homme historien, de se complaire dans des visions dépassées et inacceptables de l’histoire. J’en avais particulièrement contre le point de vue humaniste ou humanisant défendu par les deux professeurs qui prenaient le parti du subjectivisme contre l’objectivisme, qui récusaient les théories trop précises (en qualifiant implicitement le matérialisme historique de calamité) et qui ne craignaient pas de définir l’histoire comme étant aussi un art ! Fort de mes convictions sur ce qu’était la discipline historique (combien d’heures à discuter avec Jean-Marie Fecteau, alors camarade), je m’insurgeais contre tout ce qui pouvait faire de l’histoire autre chose qu’une science positive de l’agir humain se déployant dans des rapports de classe qui déterminaient et expliquaient tout. Que des sphères de socialité restent inaccessibles à la raison cartésienne, que les mots ne puissent toujours dire ou rendre les choses et que l’ambiguïté soit au coeur de la condition humaine, voilà trois postulats épistémologiques qui m’étaient insupportables. Pour contrer la mollesse analytique défendue par Hamelin et Gagnon, il fallait, croyais-je fermement, aborder l’histoire comme un corps structuré qui se prêtait à l’étude systématique et que l’on pouvait comprendre comme un tout organisé. Dans cette entreprise de réconciliation de la démarche historienne avec la (ma ?) méthode scientifique, la conceptualisation stricte et la modélisation géométrique me paraissaient des outils indispensables. « Critique de l’indétermination historique, de l’approximation méthodologique et de l’hésitation historienne », tel aurait pu être le sous-titre de mon article. À trente ans de distance, cet intitulé pourrait coiffer le texte de Thierry Nootens. On sent en effet, chez ce professeur de l’UQTR, une insatisfaction vive devant les concepts mous qui cherchent à épouser la matière du passé plutôt qu’à la conformer aux attentes et prescriptions des grands schèmes explicatifs. Nostalgique d’une époque où dominaient les lectures matérialistes du social et où, pour beaucoup d’historiens dont il est apparemment l’héritier intellectuel, les méta-structures, processus institutionnels et grands ensembles faisaient foi de tout, Nootens s’en prend notamment au concept d’identité qu’il trouve vaseux, imprécis, inefficace et, sauf exception, inutile. Que dire de la croisade du collègue contre l’« approche identitaire » ? Qu’il n’a pas tort de signaler certains excès commis par les aficionados de la « posture analytique » qui l’indispose, mais qu’il exagère dans les immodérations qu’il dénonce. Ainsi, on ne le chicanera pas de ce qu’il affirme à propos de l’application ample du concept d’identité par des cohortes de chercheurs qui, désireux d’être dans le vent et de penser dans le cadre de l’un des paradigmes de notre temps, en ont usé et abusé jusqu’à plus soif. Ai-je moi-même fait preuve de démesure dans l’emploi du terme ? Si M. Nootens le croit… À ma décharge – et à la décharge de mes collègues du CÉLAT durant les années 1980 et 1990 –, je soutiendrai cependant que nous avons, grâce au concept d’identité et aux problématiques dont il était le centre, ajouté aux lectures possibles de l’expérience historique québécoise. On pourrait dire des travaux menés au CÉLAT, à partir du moment où Jacques Mathieu a pris la direction du Centre au début des années 1980, qu’ils ont été pionniers dans …

Parties annexes