Comptes rendus

WARREN, Jean-Philippe, Hourra pour Santa Claus ! La commercialisation de la saison des fêtes au Québec, 1885-1915 (Montréal, Boréal, 2006), 302 p.[Notice]

  • Jarrett Rudy

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  • Jarrett Rudy
    Département d’histoire, Université McGill

C’est devenu une rengaine annuelle : les gens grommellent que Noël n’est plus ce qu’il était, que ce n’est plus qu’un événement commercial et que les traditions associées aux Fêtes sont maintenant reléguées au second rang, ou perdues entièrement. Cette récrimination n’a pourtant rien de nouveau. Dans un livre provocateur et réfléchi, Jean-Philippe Warren montre qu’au Québec, les gens s’en plaignent depuis longtemps et que, d’une certaine façon, la répétition annuelle du sentiment d’une perte est un élément fondamental de ce qui alimenta la commercialisation de Noël. Son étude se concentre sur la fin du xixe siècle quand, selon lui, le Québec urbain atteignit enfin un certain niveau de prospérité (bien que pour la plupart des historiens il ne soit pas clair qu’il s’agissait vraiment d’une « belle époque »). C’est durant cette période que les Canadiens français eurent, plus que jamais auparavant, l’occasion d’adhérer à la société de consommation. Quel fut l’impact de l’avènement d’une société consumériste sur les traditions de Noël des francophones vivant au Québec ? Depuis le rejet des recherches de sociologues qui faisaient du Québec français une société traditionnelle en voie de transformation par le capitalisme industriel, les historiens ont très peu porté attention à la rencontre des traditions canadiennes-françaises et de la société de consommation. Le livre de Warren rouvre cette question. Les historiens seront frappés par l’analyse anthropologique de Warren, qui aborde le Noël commercial en tant que rituel, explore ses origines, le contexte dans lequel il apparut, comment il fut structuré et les fins qu’il servit. Et bien qu’il laisse de nombreuses questions aux chercheurs à venir et que sa méthodologie limite ses résultats, nous lui devons tout de même des éclairages nouveaux des rapports entre tradition et modernité dans le Québec du tournant du xxe siècle. Warren commence par souligner l’évolution temporelle de la structure des célébrations religieuses hivernales des catholiques romains au Canada français, au milieu du xixe siècle. Les fêtes de Noël pouvaient s’étendre du début de l’avent, en décembre, jusqu’au début de février, qui commémorait la présentation de Jésus au Temple. Au début du xixe siècle, cette saison sainte ne se distinguait que partiellement du reste de l’année liturgique, qui comptait un nombre impressionnant de jours fériés. Pourtant, en raison des réformes calendaires de l’Église et des préoccupations productivistes du monde des affaires, Noël et le Nouvel An devinrent les jours les plus importants des fêtes de Noël. Pour les Canadiens français les célébrations du Nouvel An étaient même plus importantes que Noël, mais l’inverse s’imposa progressivement. Pourquoi ce renversement ? Là, Warren hésite : de nombreux facteurs seraient en cause. L’Église catholique préférait l’austérité de Noël à l’exubérance du Nouvel An ; elle ne s’y opposa donc pas et le modèle nord-américain d’un Noël consumériste s’avéra séduisant pour plusieurs. Pourquoi séduisit-il ? Il y avait tout d’abord l’idéal d’universelle abondance (présenté sous un visage capitaliste libéral). Le mécanisme qui structurait cette abondance était l’échange de cadeaux, dont l’analyse est au coeur de ce livre. Warren suggère que l’offre de cadeaux servait trois fins durant la seconde moitié du xixe siècle. C’était d’abord la façon qu’avaient les parents de témoigner leur affection à leurs enfants. Le sens de l’enfance était en train de changer au Québec et dans d’autres sociétés occidentales : faire plaisir aux enfants (et non se contenter de les instruire) devenait un idéal de la classe moyenne. Les commerçants firent auprès des parents la promotion spectaculaire d’une étourdissante variété de jouets et de cadeaux censés faire la joie de leurs enfants. Les adultes idéalisaient, non sans nostalgie, les bonheurs de …