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Ce livre raconte l’histoire de la mise en place de la colonie française en Amérique du Nord de 1598 à 1613. L’auteur, Éric Thierry, a fait le choix d’un récit chronologique et, dans le développement de la partie événementielle de cette chronologie, de coller totalement à ses sources.
La composition de l’ouvrage est classique. Une courte introduction qui aurait pu s’appeler avant-propos. Il y présente très brièvement les sources et les principaux travaux portant sur la période, fait connaître qu’il va mettre à profit les documents mis au jour après la parution de la grande synthèse de Marcel Trudel et y va de quelques remerciements. Il découpe son récit en six chapitres. Le premier chapitre est l’inévitable rappel de ce qui s’est passé entre la fin du xve siècle et 1598. Suit la période qui porte sur les années 1599 à 1603. Deux autres chapitres, les 3 et 4 nous font suivre la mise en place de la colonie acadienne de Dugua de Mons. À partir de là, comme l’histoire se poursuit dans deux aires géographiques différentes et avec des protagonistes également différents, la chronologie se poursuit en Y, une branche nous faisant suivre la fondation de Québec, pour l’autre, le chapitre 6 et dernier nous ramène à Port-Royal.
Évidemment, sur le plan logique, cette histoire, de par son titre, aurait pu s’arrêter en 1610, mais pour la partie acadienne, c’eût été couper un récit au milieu de son déroulement. La césure de 1613, avec l’échec de la colonie de Saint-Sauveur, l’incendie de Port-Royal par les Anglais et le retour des embarquements avec les commerçants de La Rochelle, allait de soi. Et du côté de la vallée laurentienne, cette date était aussi celle du retour du monopole de la traite obtenue par Champlain notamment.
Qu’apporte cet ouvrage à notre connaissance des débuts de la Nouvelle-France ? L’historiographie canadienne, avec les travaux de Trudel et de Campeau, a presque tout dit sur ce qu’on peut connaître de la période, et ce n’est pas parce qu’ils datent que ces travaux sont devenus caducs. L’historien que cela intéresse a depuis longtemps accès aux écrits de Champlain, de Lescarbot, de Biard, aux pièces rassemblées dans Les nouveaux documents sur Champlain, aux documents des archives des jésuites publiés dans Monumenta Novae Franciae, ou encore dans les documents des frères Bréard. Les sources retrouvées depuis et utilisées par Éric Thierry n’ajoutent rien aux événements eux-mêmes, mais elles permettent une compréhension plus fine du comportement de certains des personnages principaux de cette colonisation et donnent parfois un éclairage plus subtil de quelques questions controversées. Je citerai particulièrement le conflit entre le jésuite Biard et Charles de Biencourt. Si les pièces au dossier sont connues, l’interprétation qui en était faite partait d’un parti pris de Lucien Campeau pour le camp des jésuites. La présentation du conflit par Éric Thierry est beaucoup plus pondérée. Peut-on aussi reprocher à ce dernier de donner une place égale aux écrits de Lescarbot et à ceux de Champlain ? Le premier, hormis son séjour personnel de quelques mois dans la colonie, est à Champlain ce que Thevet était à Cartier, une source seconde, un historien en cabinet qui va chercher ses renseignements auprès des témoins de première main. Mais peut-être est-ce un reproche de trop, même si Éric Thierry a vécu longtemps avec les écrits de Lescarbot, ceux-ci restent indispensables pour compléter des informations absentes chez Champlain.
L’auteur utilise ses sources avec précision, s’avançant avec rigueur dans l’interprétation, et il est tellement en phase avec les documents qu’il analyse qu’il est capable de mettre à profit tous les indices qui se présentent à lui. Je trouve son travail si bien documenté et si sérieusement présenté que tout historien qui voudrait l’utiliser pour une mise en contexte de ses propres recherches pourrait le faire en toute confiance. Une autre force d’Éric Thierry est son érudition. Ainsi, il nous entraîne souvent dans des parenthèses qui mettent à profit les connaissances de quelques autres historiens et ses propres découvertes : sur la famille d’Hélène Boullé, sur le scorbut, sur la langue algonquienne et la représentation d’abstractions, et sur bien d’autres sujets. Ce livre publié en France restera sans doute un travail d’historien destiné à ses pairs et à des amateurs éclairés.
Les forces de l’auteur sont aussi sa faiblesse s’il s’agit d’atteindre un large public. Le récit est trop dense, regorgeant de mille détails qui peuvent en décourager plus d’un. Si les moments d’interprétation et d’explication sont présents, j’en ai parlé, ils semblent quand même noyés dans l’événementiel tellement les chapitres suivent pas à pas les grands textes de la période (Champlain, Lescarbot et Biard avec les commentaires de Campeau). Le chapitre 5 est exemplaire pour cette critique : nous croyons relire le récit de Champlain, agrémenté de quelques explications et réécrit pour faciliter la lecture à nos contemporains.
Il reste qu’Éric Thierry est un très bon historien qui raconte bien. Il fait voyager son lecteur par une écriture agréable et un récit très clairement organisé. Pour celles et ceux qui n’auraient pas été plongés dans les sources qu’il a si bien fréquentées, l’ouvrage est enrichissant ; pour les autres, l’utilisation de quelques documents plus récemment découverts peut apporter quelques lumières. Pour lui, qui semble s’attacher à ce que rien ne lui échappe, j’aurais souhaité qu’il ait eu accès aux transcriptions des sources que Le Blant et Baudry n’ont pas utilisées dans leur volume I, riches en détails et qu’il aurait pu mettre à profit.